Une partie de ping-pong sans arbitre

Mise en ligne: 3 juin 2017

Apprendre aux associations à mieux communiquer, par Tito Dupret

Très didactique, gradué d’exemples et d’exercices, « Penser son association pour mieux communiquer » [1] est bien un « manuel à l’usage des petites et moyennes associations ».

La première partie consiste à rappeler quelques fondamentaux afin de faire un état des lieux du travail d’une association en la matière. Car il y a deux erreurs à ne pas commettre. L’une en amont : toute votre équipe ne sait pas répondre par une phrase efficace à la question « que fait votre association ? ». L’autre en aval : ne pas connaître vos publics et agir « comme s’il s’agissait d’une masse homogène de sympathisants ».

Le manuel aide avec des outils, simples puis plus complexes, à générer et gérer une communication interne et externe. Interne entre ses membres ; bénévoles et professionnels parfois en tension. Externe avec les multiples publics rencontrés en de nombreuses circonstances qui offrent différentes opportunités de communiquer sur mesure vos missions, vos valeurs et votre vision pour un monde meilleur.

Votre association, « qui est-elle ? » Allez-y, je vous écoute. Et l’image que vous en avez, qui exprime votre altruisme, vos espoirs, votre générosité, correspond-t-elle à l’image telle qu’elle est perçue par vos publics ? Comment dire la première et mesurer la seconde ? Or « c’est là que réside le fait associatif : entretenir des échanges qui privilégient le lien social, plutôt que développer des échanges de biens et de services selon les règles du marché. »

Ce lien social, ce manuel vous guide pour l’identifier, le grandir et le multiplier. C’est ici que le lecteur-acteur entre dans la deuxième partie de l’ouvrage et apprend à faire des publics non pas des destinataires mais des partenaires. La communication n’est pas unilatérale, les informations circulent sans fin et les rôles d’émetteur et de récepteur s’échangent en permanence. On dirait une partie de ping-pong sans arbitre.

Quoique.

Le manuel expose une approche marketing de votre communication. Il vous apprend à lire à travers « le prisme de votre identité », à évaluer vos forces, vos faiblesses et autres opportunités et menaces. Il vous pousse à être stratégique et à maîtriser les façons de diffuser votre image ; y compris en publics indifférents ou hostiles. Vous entrez dans un monde où il faut « considérer la communication comme un phénomène plus complexe (comme un immense dispositif) ».

C’est une médiologie qui s’installe, c’est-à-dire une approche tenant compte de l’information en soi, de ses productions, de ses canaux, de ses contextes de réception selon toutes conditions particulières. Adieu la communication bête et frontale, il faut penser le dispositif comme une pleine et entière « proposition au public » avec trois composantes, l’information, la relation et la cognition.

Votre communication veut trouver ses lettres de noblesse en ceci que chaque poste apporte son énergie dans l’espoir de produire une lumière inondant tout l’ensemble. Votre communication devient holistique : les résultats dépassent la somme des parties mises en jeu. Impossible à démonter ni à démontrer et donc à reproduire : tout à coup les projecteurs peuvent être sur vous. C’est tout le bien que cet ouvrage vous souhaite.

Mais est-ce bien ce que vous voulez ? Il est une tension que les auteurs, Jean-Marie Pierlot et Fabienne Thomas, ont en effet mentionné. L’évolution de votre association de petite à moyenne, exige de recourir à des professionnels. Ceci n’a pas lieu sans émoi parmi les bénévoles car l’esprit change. Tant et si bien que celui-ci vient à primer sur le coeur. Les bénévoles sont vite pris pour des « amateurs » et les professionnels pour des « fonctionnaires ».

L’engagement n’a pas la même signification pour ceux qui se sont engagés et ceux qui sont engagés. Êtes-vous prêt pour ce basculement ? Comment garder le coeur intact lorsque l’esprit prend les commandes ? La question mérite d’être débattue et entretenue.

Et puis… comment vous dire ?...

Il est un requis dans le livre qui n’est malheureusement plus un acquis. La solidarité. Et celle-ci me semble moins de l’ordre de la communication que de l’éducation ; voire de la civilisation. Or votre association et votre communication dépendent de la solidarité. Mais ce moteur n’est plus nourri. Justement parce que l’esprit l’a emporté sur le coeur au niveau sociétal.

On parle ainsi d’une générosité froide – mesurée – qui a remplacé la générosité chaude – spontanée –. Mais je ne m’exprimerai pas mieux que ces « expatriés aux portes de l’Europe » dans une opinion récemment publiée dans La Libre Belgique à propos des réfugiés bloqués aux portes de l’Europe, nouvel échec de la solidarité :

« Nous qui avions tant d’idéaux… parce qu’il en faut pour faire ce métier, nous que nos amis appellent les altermondialistes depuis l’adolescence, nous qui croyons en un monde meilleur et essayons de le mettre en pratique dans notre quotidien… »

Le manuel dont il est ici question vous aidera à entrer et à vous installer dans le monde tel qu’il est. À vous y intégrer. Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? Au risque de retirer votre coeur du terrain pour concentrer votre esprit dans une stratégie de communication ?

Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, mais la question me semble importante et aussi longtemps qu’elle reste posée, sûrement que le coeur et l’esprit de votre association parviendront à vivre et grandir.

[1Jean-Marie Pierlot et Fabienne Thomas, Edipro, 2015