La traduction des faits dans l’imaginaire Nord-Sud

Mise en ligne: 20 juin 2008

Nature et culture, quatre cas de figure, par Xavier Guigue

Premier cas de figure : Quand la nature se déchaîne

En septembre 1985 un terrible tremblement de terre ravage Mexico. Les médias du monde entier arrivent pour filmer la catastrophe. Une équipe d’Antenne 2 est là comme tant d’autres. Ce jour là, les habitants sont invités à reconnaître les membres de leur famille décédés lors du séisme. Cela se passe dans un immense stade : il y a les représentants de l’Etat civil installés sous des tentes pour enregistrer les dépositions, les habitants qui déambulent entre les corps pour les reconnaître et font la queue sous le soleil écrasant devant les tentes, les ambulances et véhicules de secours qui vont et viennent en amenant les blessés ou les morts, les corps, parfois en morceau, disposé sur de la glace pour éviter la putréfaction, les services sanitaires et les sauveteurs, la police et l’armée, les médias... Le journaliste d’Antenne 2 s’interroge sur ce qu’il faut montrer. Son cameraman prend l’initiative de tout filmer : la population, les corps, les autorités, les personnels de santé. Dans le même temps une chaîne américaine ne filme que les corps, tordus, disloqués, empilé dans la glace, l’horreur à l’état brut. Ces faits sont révélateur de la manière dont les médias peuvent mettre en image, en parole ou en écrit une catastrophe. Qu’elle arrive au Sud et la tendance sera de montrer la cruauté de la chose. Le cameraman d’Antenne 2 qui le savait a voulu montrer un autre regard. Qu’elle arrive au Nord, la tempête de fin 1999 ou des calamités tout récentes en Belgique et l’on parlera plus facilement de l’organisation des secours, du rôle des autorités publiques.

Deuxième cas de figure : Les courses de rallye au Nord ou au Sud

Lors du rallye Paris-Dakar, il y a quelques années, le même jour, une fillette africaine a été écrasée par un concurrent et la voiture du leader de la course a été volée.

C’est le deuxième sujet qui sera traité plus largement dans les médias. On imagine un évènement similaire d’un rallye plus près de chez nous, celui de Monte-Carlo, par exemple. Il y a de fortes chances que le poids des événements ne soit pas le même.

Troisième cas de figure : Mondialisation économique et nationalisme

Tout récemment nous avons appris par la presse qu’Arcelor-Mittal allait fermer le site de Gandrange (Moselle, France), une usine rachetée en 1999 par « l’indien Mittal Steel au français Usinor » pour un franc symbolique.

On reste dans les faits. Mittal est une entreprise indienne, certes, mais cela laisse sous entendre que c’est « l’Indien » qui est fourbe et ne respecte pas la parole donnée, l’appartenance nationale prend le dessus de l’information et déplace le problème des luttes sociales vers une problématique identitaire.

Et comme pour enfoncer le clou, dans la même période « le groupe de pneumatiques français Michelin » qui a réalisé 774 millions d’euros de bénéfices en 2007 va fermer l’usine de pneumatiques Kléber de Toul... Michelin explique qu’il subit de plein fouet la concurrence des pays « asiatiques » à faibles coûts de production.
La faute est encore à l’étranger.

Dernier cas de figure : L’ « ethnicisation » des faits

Cette manière de présenter les faits rappelle celle, trop courante, où une personne coupable ou présumée coupable d’un délit est affublée de son appartenance géographique ou ethnique de manière discrète (une personne d’origine étrangère par exemple) ou bien ouverte quand une région du monde, un pays ou une appartenance culturelle ou religieuse est nommée. Le droit nous enseigne qu’il examine les faits et non le faciès. La criminalité, comme la solidarité n’est le propre d’aucune religion, ni de couleur de peau ; les journalistes le savent, encore faut-il qu’ils le disent.