En 2005, le CNCD veut ouvrir un débat sur la nature de l’aide belge à travers un spot publicitaire. Le ministre de la coopération trouve la démarche insultante et arrête sa diffusion. La justice finit par donner raison au CNCD. L’incident est clos. Et l’enveloppe ? Elle s’est transformée en oignon, par Antonio de la Fuente
Novembre 2005. Pour sa campagne annuelle de sensibilisation et de récolte de fonds, le CNCD fait appel pour la première fois à une agence de publicité. Les années précédentes, les spots et affiches qui présentaient l’opération étaient des « produits maison » bénéficiant uniquement de quelques conseils extérieurs.
Le CNCD transmet aux publicitaires cette idée : Le gouvernement belge promet d’augmenter l’enveloppe de la coopération et prévoit pour 2010 d’arriver au o,7 % du PIB. Parallèlement, les pays du Sud, ceux d’Afrique notamment, n’arrivent pas à prendre leur envol et voient même leur situation se dégrader. Un bonne partie de l’enveloppe de l’aide reste en Belgique sous la forme de la contribution aux organisations internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, à l’accueil des réfugiés sur le territoire belge, à l’annulation des dettes anciennes, à des études et des structures d’accompagnement et d’évaluation confiées à l’administration ou à des cabinets privés. Par ailleurs, il y a aussi la coopération. Des projets liés à la santé, à l’éducation, à la construction d’infrastructures, sont conditionnés à l’approvisionnement du matériel et des technologies en Belgique. Enfin, une partie de ce qui arrive dans le Sud nous revient sous la forme notamment des remboursements de dette.
L’agence propose le spot suivant : Un Africain se trouve dans un atelier à travailler. Un autre s’amène tout excité un enveloppe à la main. « Bilal, s’écrie-t-il, la Belgique, la Belgique ». Bilal prend l’enveloppe et l’ouvre. Elle est vide. Une voix off dit alors : « Soutenons le développement des pays du Sud. Parce que la pauvreté, ce n’est pas moins dur au soleil ».
Le spot est approuvé et se retrouve sur les radios et les télévisions. Au troisième jour de diffusion, le cabinet du ministre de la coopération, Armand De Decker, interpelle le CNCD et lui demande d’arrêter la diffusion de ce document : « Retirez ce spot insultant pour la Belgique ». Le CNCD trouve le contenu du spot défendable et le fait savoir au ministre. La réaction de ce dernier est d’attaquer le CNCD en justice, suivant une procédure accélérée.
Le CNCD est sommé d’arrêter le spot sous peine de 5000 euros par passage. La campagne est arrêtée mais le CNCD fait appel. Quelques semaines plus tard, en janvier 2006, la justice donne raison au CNCD et déboute le ministre : le spot ne contenait pas d’atteinte à l’image de la Belgique.
Le CNCD aurait pu alors demander des dommages et intérêts et la diffusion d’un autre spot, par exemple. Il estime néanmoins qu’il vaut mieux tenter un dialogue avec le ministre. Le ministre, pour sa part, estime qu’il a réussi à sauver l’honneur de la Belgique. Pour lui, l’incident est clos. Voilà pour les faits.
Quant au bilan, le CNCD a perdu sur deux plans : le résultat financier de la campagne 2005 est négatif, il compte 8% de moins par rapport aux années précédentes, qui montraient déjà un bilan en stagnation. Pendant l’opération, des magasins n’ont pas voulu exposer des affiches et des bénévoles n’ont pas voulu s’investir dans une campagne qui, d’après le gouvernement, portait atteinte à l’image du pays.
Sur un autre plan, le CNCD et le ministre ont perdu ensemble une opportunité d’avoir un vrai débat sur la question de l’aide belge au développement. L’enveloppe de Bilal n’était manifestement pas la clé qui pouvait ouvrir cette porte, et le ministre insiste sur le fait que le volume total de l’aide belge a été augmenté de deux cent millions d’euros en 2005 et 2006, sans admettre d’analyser ce que couvrent ces montants.
Cette année-ci, 2006, le CNCD et son pendant flamand, 11.11.11, ont fait campagne commune sur le thème de la souveraineté alimentaire. L’Europe consacre des sommes importantes pour soutenir les agricultures du Nord afin qu’elles survivent. Mais on ne peut pas protéger l’agriculture du Nord et ignorer les conséquences sur l’agriculture du Sud. Les pays du Sud n’ont pas d’autonomie dans l’orientation de leur agriculture et les faillites et la pauvreté augmentent. Toutes les trente secondes une exploitation familiale s’arrête dans le monde et contribue à l’exode rural.
L’agence de publicité a fait une proposition autour du poulet, dossier emblématique en matière de souveraineté alimentaire, à cause du rôle de l’Europe qui inonde les marchés du Sud de poulets congelés et étrangle les éleveurs du Sud : un paysan se rend péniblement au marché avec ses poulets sur son vélo et une pluie de poulets congelés lui tombe sur la tête. Le message n’a pas été approuvé car il aurait pu être brouillé par la grippe aviaire.
L’image de l’oignon est venue ensuite en suivant la même logique : l’agriculteur du Sud étouffe sous la charge des produits qui débarquent sur les marché locaux. Les agriculteurs du Sud voient leur situation se dégrader car les règles de commerce international sont incompatibles avec le fait que les gens se prennent en charge.
L’opération est menée ensemble avec 11.11.11 flamand, ce qui permet une économie d’échelle, et vise une augmentation de 10% dans la récolte de fonds, soit de surmonter la chute de 2005 et de revenir au niveau de 2004.
Reste cette question centrale : est-ce possible de concilier récolte de fonds et éducation au développement ? Peut-être pas. Idéalement, sensibilisation et récolte de fonds pourraient se renforcer mutuellement. La récolte étant un moment qui permet le travail à moyen et long terme. A condition que les messages de l’une et de l’autre, et la manière de les transmettre, ne se télescopent. Et que Bilal ne soit pas traîné en justice.