C’est ainsi qui vivent les femmes ?, par Pascale Maquestiau
Qui parle au nom de qui ? Les droits humains restent encore souvent des droits de l’Homme. Le droit de s’exprimer en tant que femmes pour des femmes dans les médias, reste fragile. L’utilisation de photos de femmes africaines est souvent choisie comme représentation pour parler de développement ou pour faire un appel à des récoltes de fonds. Le discours ambiant montre des femmes, mais quel rôle leur fait-on jouer ?
Retenons que « construire un lieu d’où on peut à la fois dominer les autres et parler en leur nom est l’essence même du pouvoir politique » [1]. Cette affirmation pourrait bien résumer le débat dans lequel nous nous trouvons. Les ONG n’ont pas réalisé un état de la question de ce fameux quatrième pouvoir, pourtant cela fait partie de leurs stratégies de communication qui se situent sans doute sur un mode de séduction. (Gagner un espace où l’on parle de leurs actions). Je n’aborderai pas ce qui se cache derrière les éléments suivants même si ceux-ci sont à considérer pour une analyse complète :
Le support visuel le plus connu de la présence des femmes est la publicité. Relayant bien des positions féministes, j’affirmerai que la publicité est souvent un vecteur violent du sexisme. Elle utilise les images choquantes. Les meilleures productions sexistes mettent en scène des jeux sexuels qui assurent leur réussite de choc, et banalisent d’autres. L’objectif est de vendre et pas d’éduquer. La mise en image de l’objet de désir masculin portera sur un corps qu’il soit féminin ou androgyne. Ceci propose à notre inconscient une hiérarchisation des rapports sociaux de genre. Si celle-ci n’est pas contrée par une analyse critique dans notre système éducatif, elle empêchera notre capacité de remise en question et le moule des valeurs traditionnelles réconfortera l’individu dans sa construction d’identité.
L’approche que je vous propose est d’ajouter des éléments de lecture qui nous portent vers une construction future plus attentive aux situations d’inégalités sexistes dans le domaine de la communication. La dynamique binaire qui met en opposition homme et femme se retrouve entre le noir et le blanc, entre gens d’ici et d’ailleurs. Elle va marquer la construction des messages émis par les organisations qui travaillent autour de l’éducation, la sensibilisation citoyenne. Les raccourcis utilisés à des fins éducatives ou de récolte de fonds sont dangereux car la rapidité de la lecture d’images ne permet pas de montrer la complexité dans laquelle nous vivons. Dans les messages émis, la relation du langage ou de l’image du masculin et du féminin est hiérarchique et elle n’est pas anodine. Si je vois la photo d’une femme noire qui allaite et qu’en dessous en rouge je peux lire les gestes qui sauvent de l’ONG humanitaire, cette dynamique binaire m’oblige à agir comme l’ONG veut, si je ne veux pas rester dans ma grisaille, coupable d’inaction et d’égoïsme. Ce genre de message ne fait pas appel à la complexité des enjeux et notre implication dans la société.
Je ne voudrais pas non plus opposer de manière binaire les « méchants de la pub » et les « gentils du sociocu ». Un détour s’impose dans les autres médias.
Les espaces informatifs tels que les journaux parlés, télévisés, sont ceux qu’on choisit le plus facilement. Ils ne sont pas sensibles à la dimension de genre. Une enquête réalisée par le groupe néerlandophone Zorra a montré, lors des débats télévisés des campagnes électorales, comment la prise de parole et la distribution de celle-ci pouvaient marquer des relations hiérarchiques et avoir un impact sur le vote.
Il semblerait qu’actuellement les « sociaux » doivent tout faire : informer, mobiliser et éduquer. La presse dite alternative peine ; et la presse qui a pignon sur rue, fait peu d’alliances avec les mouvements des femmes. Les derniers mouvements sociaux des femmes en Belgique restent absents de la presse traditionnelle. Ceci est-il une résistance du marché ou une volonté de nous formater ? Les résultats de cette situation montrent un mécontentement puisqu’en Espagne et en Italie des mesures sont prises pour casser les images des corps de femmes anorexiques véhiculées par la mode. Cependant cela ne nous a-t-il pas conditionné à nous familiariser avec l’image de la pauvreté ? Une jeune fille amaigrie par les années de dénutrition originaire d’un pays dit sous-développé n’est-elle pas à regarder comme une top modèle ratée ? Ou les femmes bien remplies de l’hémisphère sud ne peuvent-elles pas être les modèles de lutte contre la pauvreté car si elles avaient faim, elles seraient plus maigres ! [2] Ce sont des commentaires qui montrent l’impossibilité d’analyse mais aussi favorisent différentes formes de discrimination. Images des corps quand vous nous dominez, plus rien ne peut être rendu complexe.
Comment redresser la barre, puisque du côté des images il nous faudra beaucoup de temps pour corriger cette tendance. Regardons ce qu’il en est du côté de la presse écrite ou parlée. Comment enrichir les représentations du monde et notamment des femmes et leur présence dans l’espace public ? Ceci n’est pas facile car si nous regardons les campagnes électorales pour la présidence que ce soit au Chili ou en France, les questions ont toujours tourné pour les femmes autour de : comment allez-vous concilier votre vie de famille et la politique si vous êtes élues. (Question qui ne sera jamais posée aux adversaires masculins, qui sont père et mari). Aucun type de modèle novateur pour les femmes et les hommes n’est proposé par des biais de ce type d’apport. L’évolution est lente, les analyses devraient être plus souvent divulguées pour favoriser la prise de conscience mais aussi un plaidoyer devrait être développé pour avoir une réelle incidence politique auprès du quatrième pouvoir. Le travail reste encore à la charge du secteur éducatif.
Pour être proactif d’un changement égalitaire complexe, le mode d’emploi serait de considérer les quelques questions suivantes : comment se déroule l’interview d’une femme et d’un homme ? Dans quel contexte filme-t-on les hommes et les femmes ? Comment l’interviewé réagit-il aux questions ? Quels types de questions pose-t-on à l’une et à l’autre ? Comment nomme-t-on ou présente-t-on les femmes et les hommes ? Quelles sont les sélections des interviewés selon les thématiques ? Nous arrivons à la fin de l’année, les rétrospectives seront d’actualité : Quelle place tiennent les femmes dans ces espaces ? (combien parmi le lot proposé). Quels rôles ont-elles joués ? Ont-elles été actives ? Comment les décrit-on ? (qualificatifs). Quelles places ont-elles occupées ? (décideuses ou décoratives).
Nous montrer en dame de compagnie de personnalités masculines, en martyres, femmes voilées, agonisantes ou mutilées dans les tueries pose la question d’un refrain bien connu et à peine changé de Léo Ferré : « Est-ce ainsi que les femmes vivent ? ».
A la question de savoir comment les ONG agissent en matière de communication publicitaire, nous devons ajouter la donnée qu’elles le font uniquement en matière de changements de comportement ou campagnes de sensibilisation. Le champ est légèrement réduit. Il y a quelques années, nous avons travaillé autour d’une analyse sur la production des affiches réalisées par les organisations non gouvernementales et gouvernementales. Nos conclusions avaient apporté différentes recommandations. De la même façon que nous analysons de manière régulière l’intégration de la dimension de genre dans la pratique des ONG. Celle-ci est un outil excellent pour mesurer les liens entre le discours et la pratique des ONG concernant l’intégration réelle des droits des femmes dans le respect de leurs droits fondamentaux.
Communiquer dans nos associations c’est aussi surtout plaider pour une cause que nous connaissons bien mais qui est rendue visible de manière inégalitaire entre les genres. Le défi est de répondre sur le même ton au Nord comme au Sud. C’est possible [3].
[1] Maurice Godelier, Pour en finir avec le sexisme, de Guillaume Carnino, Ed. L’echappée, 2005, p. 52.
[2] Ceci questionne les normes sur la pauvreté : la malnutrition est basée sur la capacité du pouvoir d’achat des aliments et leur préparation ; certaines femmes ont comme nourriture de base du pain, du sucre, de l’eau et de l’huile, régime carencé par excellence qui sera aggravé par les maternités.
[3] Voir la campagne menée par le Réseau d’action et d’apprentissage communautaire qui analyse comment la mondialisation favorise de nouvelles formes de violence faites aux femmes. Une campagne conçue par une ONG latinoaméricaine et se décline et est diffusée au Congo, en Espagne, Portugal et Belgique : Palabras.info