Présentation : Le singe et le joueur d’orgue

Mise en ligne: 6 décembre 2006

Trois nouveautés : le marketing ethnique, l’AdSense et la traduction de la responsabilité sociale des entreprises en langage publicitaire, par Antonio de la Fuente

« Seules les marques font de la publicité. Ah bon ? N’avez-vous jamais remarqué la publicité que cet oncle sympathique fait de lui-même lors d’une fête de famille ? Si le joueur d’orgue s’accompagne d’un singe, ce n’est pas seulement parce qu’il aime cet animal. Le politicien n’achète pas des lunettes design vertes pour la seule et unique raison que ses anciennes lunettes sont usées. Nous sommes tous des garçons et filles de la publicité. Pères, mères, partis politiques, pouvoirs publics, ONG. Nous jouons à ce grand jeu de la séduction du matin au soir. Nous essayons tous de nous montrer sous notre meilleur jour et d’attirer l’attention sur nos points forts. Cela fait simplement partie de notre nature ».

C’est en ces termes que le Conseil de la Publicité présente sa campagne « La publicité fait partie de la vie ». Passons sur le fait que le singe est enchaîné à l’orgue. Aussi sur ce point de détail : le singe fait-il la publicité pour le joueur d’orgue ou est-ce le joueur d’orgue qui fait la publicité pour le singe ? Et arrêtons-nous sur ce constat : les ONG sont de bons clients pour les publicitaires.

La preuve par les campagnes de sensibilisation et de récolte de fonds habituelles des ONG de taille significative, telles qu’Amnesty, Handicap International, Unicef, Iles de paix, Croix Rouge, WWF et Médecins sans frontières, entre autres, qui font régulièrement appel au travail des publicitaires. Des ONG plus modestes le font aussi regroupées sous le label 11.11.11 (voir L’affaire de l’enveloppe vide).

La preuve, aussi, par des campagnes en cours en Belgique. Celle de Magasins du Monde Oxfam est la plus en vue à présent. Une série d’hommes politiques et des BV, des Bekende Vlamingen, prêtent leur image à la promotion des produits du commerce équitable. Le pouvoir de l’image et des publicitaires est tel qu’ils sont parvenus à noyer le premier ministre belge, le libéral Guy Verhofstad, et ses lunettes design, sous quelques kilos de grappes de raisins pour vanter les mérites des vins chiliens et sudafricains. Et à l’homme fort de la Wallonie, le socialiste Elio Di Rupo, ils l’ont convaincu de se laisser immerger dans une baignoire en gardant tout juste son nœud papillon au sec. La présentatrice de télévision et ancienne Miss Belgique, Dina Tersago, on la voit, à la Une du magazine de l’ONG, couché nue parmi des bonbons, à côté de la photo d’une paysanne asiatique récoltant du riz.

La campagne des Magasins du Monde suscite, comme il fallait s’y attendre, des réactions contrastées. « Ou bien on est d’accord, ou bien on n’est pas d’accord, mais on va parler de nous », prédisait Denis Lambert, patron des Magasins du Monde, à La Libre Belgique. Et, comme il fallait aussi s’y attendre, ceux qui n’ont pas apprécié se sont principalement exprimés. « Est-il acceptable que le consommateur qui achète un produit Oxfam voie une part (quelle part d’ailleurs ?) de son argent alimenter des régies publicitaires dont on sait tout le mal qu’elles font sur le plan démocratique, économique, environnemental ou social ? » lit-on sur le site Démonteurs de pub.

« En tant que consommateur de vos produits, je suis étonné que les bénéfices réalisés servent à financer la campagne promotionnelle du Premier Ministre et à accréditer dans l’opinion l’idée que la politique menée par celui-ci converge avec les objectifs d’Oxfam Magasins du Monde » écrit Arnaud Lismond dans une lettre aux Magasins du Monde.

D’après les Magasins du Monde, cette campagne suscite débat, ce qui était l’objectif, à fin d’attirer l’attention sur leur démarche de commerce équitable. Des moyens de communication plus classiques, malgré un contenu riche, suscitent peu de débats. Quant au coût de la campagne, il est qualifié de « dérisoire par rapport à son impact ». La photographe et les personnalités auraient travaillé gratuitement et des médias ont proposé d’importants réductions. En conclusion, leur campagne est auto-évalué comme étant « une bonne chose si on n’en abuse pas ». A peu près le même avertissement qu’ils doivent mettre sur les étiquettes de leur vin chilien et de leur rhum cubain.

Un goût de voyage

« Un annonceur veut toujours associer sa marque ou son produit à un contexte positif, qui suscite le rêve, que ce soit aspirationnel », explique un publicitaire. Le Sud est ainsi utilisé pour mettre en avant le côté exotique d’un produit, du style, pour les épices, « et votre cuisine aura un goût de voyage ».

Au fur et à mesure que le tourisme et les voyages ne cessent de prendre de l’ampleur, la publicité intègre des images et des contenus à connotation tropicale ou sous tropicale pour capter l’attention du public. Le phénomène n’est pas neuf, bien entendu. Y a bon Banania et Chiquita sont des précurseurs d’une publicité colorée, pimentée et chocolatée qui vante les matières premières venues du Sud transformées en produits de consommation pour mieux les vendre.

Ce processus s’est néanmoins accentué et diversifié ces dernières années. C’est bien le « Sud », en tant que construction d’un imaginaire géographique et culturel qui fournit en images les concepteurs publicitaires. Et non le « tiers monde », construction à dominante politique et donc revendicative ou au moins dénonciatrice.

Le Sud des publicitaires, c’est, pour faire court, davantage celui du Carnaval de Rio que celui des favelas. C’est ainsi que la dernière campagne de Fanta met en scène une idée d’île tropicale, (la Jamaïque, le Cap Vert), dans laquelle des jeunes blonds se laissent aller. Par ailleurs, derrière une porte marocaine, des marionnettes birmanes côtoient des masques masaïs et un lama amérindien. Le Sud publicitaire est le lieu privilégié pour retrouver la chaleur physique et côtoyer la chaleur humaine.

Et comme le danger écologique se précise, la publicité vante les bienfaits environnementaux de tout ce qui se vend. Le danger géopolitique lié à l’inégalité entre pays pauvres et riches n’étant pas encore assez répandu, la publicité n’a pas encore investi ce créneau. Le jour viendra, peut-être.

Trois nouveautés encore. On voit apparaître, et on verra sans doute se développer des pratiques de marketing ethnique et de responsabilité sociale en matière publicitaire. La première voulant dire adresser des messages ciblés à des couches de la population déterminées selon des catégories d’origine ethnique (Noirs, Arabes, Slaves, etc). Ces catégories sont non citoyennes car la citoyenneté fait de nous des égaux, mais cela fait longtemps que les citoyens sont traités comme des consommateurs, même par l’Etat.

En partie, cela est déjà fait à travers l’AdSense, le système de messages publicitaires ciblés sous forme de liens textuels employé par le moteur de recherche Google. Si vous lisez un article sur un journal où il est question du tiers monde les liens publicitaires du bord de la page sont à l’avenant et de nombreuses ONG internationales utilisent ce nouveau mécanisme publicitaire. L’AdSense vous suit jusqu’à l’intimité de votre courrier puisque le contenu de celui-ci détermine de manière automatique les liens publicitaires qui vous sont proposés. Ce système s’est largement répandu ces dernières années et menace déjà la primauté des agences dans l’ensemble du marché publicitaire.

Quant à la responsabilité sociale des entreprises publicitaires (voir à ce propos l’expérience de Scripta et le précédent numéro d’Antipodes) ou des entreprises en général à travers la publicité, certaines de ces expériences serviront peut-être de caisse de résonance ou apporteront dans le meilleur des cas des moyens à certaines actions des ONG. Tout n’est pas de bon augure en la matière, hélas. La même multinationale pétrolière qui contamine le delta du Niger et empoisonne ses habitants fait campagne pour la préservation d’un rare exemplaire de papillon bleu. Et par ce biais, elle se rachète une légitimité sociale et environnementale à bon compte.