Grâce à des opérations de communication sur la solidarité Nord-Sud, le projet Baobab amène des annonceurs à soutenir une ONG sénégalaise. Entretien avec son directeur, Serge de Schrijver, propos recueillis par Maude Malengrez
Publicitaires et ONG ont ce point commun que tous travaillent en permanence sur la question du sens, d’après le sociologue Dominique Wolton : « Le monde de la publicité parce qu’il répond par la créativité à des impératifs économiques, ce qui suppose des limites en termes d’efficacité. Le monde des ONG parce qu’il doit dépasser le monde institutionnel, politique et économique pour toucher des sujets universels ». Le projet Baobab, mené par la régie publicitaire Scripta, est un exemple de la rencontre entre ces deux mondes, celui des publicitaires et celui des ONG, « se disant que les compétences et les idéaux a priori contradictoires de ces entreprises ou organisations, méritaient au moins qu’on tente de les rendre complémentaires. Avec réalisme, patience, optimisme et raison », découvre-t-on sur le site du projet, fruit d’un partenariat avec Frères des hommes et Enda-Graf Sénégal.
Votre parcours dans les affaires ne conduit pas spontanément à côtoyer les ONG. Comment les connaissez-vous ?
Serge de Schrijver : Le monde des ONG m’était totalement inconnu avant 2002. Je savais qu’elles existaient, mais je n’avais aucun contact. Quand, ici à Scripta, nous avons réfléchi à l’idée de donner une orientation solidaire à un voyage au Sénégal avec nos clients, nous avons voulu nous entourer de personnes connaissant mieux ce domaine. D’où la prise de contact avec une dizaine d’ONG. A notre grande surprise, avant même que nous expliquions notre projet, beaucoup nous ont fermé la porte au nez, nous demandant ce que nous, sociétés commerciales, venions faire sur ce terrain. Seule Frères des hommes nous a permis d’aller jusqu’au bout du raisonnement. J’ai constaté un réel clivage entre les sociétés privées et les ONG, avec une grosse difficulté à employer le même langage, les mêmes mots pour se comprendre.
Aujourd’hui, quelle image en avez-vous ?
Ce sont des gens plus professionnels que je ne le pensais, fort engagés, très motivés, avec un seul bémol par rapport à notre système de fonctionnement : le rythme et les objectifs sont différents des nôtres. Ils prennent plus de temps pour la réflexion, passent moins vite à l’action. Nous agissons plus rapidement. Je crois utile pour les ONG de voir que la manière dont le privé traite les gens accélère le return on investment.
Un certain nombre d’ONG sont nées dans des milieux assez critiques envers le système économique. Or vous êtes vecteur de ce système. Est-ce facilement conciliable ?
Nous sommes partis avec l’idée d’un voyage de détente et avons évolué en nous rendant compte que nous pouvions aussi faire quelque chose. Ce n’est pas antinomique avec le fait de continuer à remplir des objectifs financiers qui sont ceux d’une société. Mais à Scripta, nous ne produisons rien, nous vendons du vent, de l’espace publicitaire. Je ne peux pas m’engager à ne pas faire produire des chaussures par des gosses de 12 ans. Le commerce équitable, ce sont des réflexions que nous ne pouvons pas intégrer, comme société, dans notre quotidien. Par contre, comme société, nous pouvons assumer notre responsabilité sociétale en faisant ce genre de voyage et en étant créatifs dans l’approche. Cela nous a permis de réfléchir sur le développement durable, dont on parle de plus en plus. Pour récolter des fonds, nous avons réalisé un journal sur le projet, où de l’espace publicitaire était vendu à des annonceurs. Nous avons récolté plus de 50 mille euros avec le premier journal qui expliquait l’expérience, ce qui a permis de construire une maison à Dakar. Scripta s’était engagé à ce que 25 mille euros de son budget de communication serve à soutenir un des projets vus sur place. Un deuxième voyage a eu lieu pour remercier les annonceurs. Nous nous sommes rendus compte que notre savoir-faire en communication est très loin de ce dont ils ont besoin. Les projets de microcrédit nous sont apparus opportuns à soutenir pour véritablement aider les gens. Pour développer des projets de microcrédit, Scripta a lancé un autre journal, dont les publicités ont rapporté 75 mille euros. On ne peut plus arriver à vivre sur deux planètes différentes. Il faut que les ONG intègrent la dimension économique et que les sociétés privées intègrent la dimension sociale.