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Mise en ligne: 6 décembre 2006

Peut-on communiquer sur le développement en s’inspirant du modèle publicitaire ?, par Annick Honorez

Grosso modo, il y a, de la part des ONG, quatre attitudes par rapport à la publicité :

- Elles communiquent en suivant le modèle publicitaire.
- Elles s’appuient sur des messages publicitaires pour communiquer.
- Elles détournent les messages publicitaires.
- Elles utilisent un autre modèle, notamment la communication socio-éducative.

Le modèle publicitaire version ONG

En Belgique, il n’y a pas énormément d’ONG qui réalisent des messages envers le grand public, à travers des affiches ou des spots. Dans la grande majorité des cas, ces messages visent la collecte de fonds et la notoriété de l’ONG. Si la stratégie de communication est bien construite, l’ONG impose peu à peu une image d’elle-même qui s’imprime dans la population qui ne retiendra peut-être qu’un fragment de l’information, mais qui est essentiel pour l’ONG.

Médecins sans frontières, par exemple, imprime, entre autres, une valeur d’efficacité. Il y a quelques temps, l’ONG a émis une affiche dont le slogan était « Votre argent, c’est elle qui l’utilise », l’image montrait une infirmière blanche en pleine action, un enfant noir dans les bras. Le message disait quelque part « pas la peine de poser pour la photo, on a autre chose à faire ». De plus, cette affiche sortait dans un contexte de détournements de fonds dans certaines associations de santé.

Handicap International a construit une stratégie de communication qui permet d’imprimer l’association entre les personnes amputées, les prothèses et les lacets bleus, symboles de la solidarité. Dans un premier temps, les images montraient les personnes handicapées, mais peu à peu, on ne les a plus vues, on a vu des personnes connues du grand public avec leurs lacets bleus. On peut ainsi adhérer à ces personnes, les imiter et acheter les lacets bleus. Quelque part, on sait pourquoi. On n’a effectivement pas besoin de réfléchir.

Le CNCD utilise également le modèle publicitaire. La campagne actuelle propose une affiche où l’on voit un homme noir, entre 40 et 50 ans, qui a un oignon dans la bouche et qui semble souffrir. La lumière est clairement une lumière de studio et il n’y a pas de fond. Le slogan : « La pauvreté, c’est nos oignons. Nourrir la planète n’a pas de prix. »

Cette affiche a été décortiquée lors d’une formation que nous avons donnée à ITECO. La plupart des personnes présentes n’ont pas compris cette affiche, la redondance entre le slogan et l’image (oignons), « pourquoi cette personne a-t-elle un oignon en bouche ? », et, finalement, se demandaient-elles : « Mais que veut-on nous dire ? « 

Si on se penche sur le petit livret qui accompagne la campagne dont le thème est la souveraineté alimentaire, on apprend que celle-ci porte, entre autres, sur le commerce des oignons et que l’Afrique, vu la concurrence effrénée, n’arrive pas à vendre ses oignons. En d’autres mots, la personne de l’affiche est quelqu’un à qui on a rendu son oignon, l’air de lui dire : « On n’a pas besoin de ton oignon, tu peux le garder pour toi, et violemment, quelqu’un le lui fourre dans la bouche ». Cependant, rien dans l’affiche ne « dit » cela.

Et pour cause ! si l’on va voir du côté flamand, on a le même visuel mais pas le même slogan. Le slogan flamand (11.11.11) dit « Stop aux étouffantes exportations de nourriture vers le Sud ». L’image prend alors beaucoup plus de sens, et notamment celui qu’elle avait dès le départ : « Tu peux garder ton oignon même s’il t’étouffe »...

Ce message peut, a priori, paraître trop compliqué pour la population. Cependant, il est fort probable que le message soit compris car cela fait déjà des années que 11.11.11 flamand produit des messages très engagés, clairs, et sur des sujets complexes. Depuis des années, c’est la même ligne qui est adoptée, assez trash, choquante parfois, directe, interpellante. Si les personnes ne comprennent pas de quoi il s’agit (le thème des exportations de nourriture vers le Sud), ils comprennent au moins que cela pose un problème.

Le CNCD aurait pu reprendre le même slogan, mais il l’a jugé trop compliqué. A l’inverse de 11.11.11 flamand, le CNCD n’a pas suffisamment de continuité dans sa manière de communiquer et ne peut donc construire un processus de sensibilisation du public par les affiches. La qualité (en termes de contenu) des affiches, année après année, est assez inégale. Malheureusement, l’affiche actuelle montre des défauts de communication. C’est tentant de vouloir jouer sur les mots, sur les proverbes, de jouer sur « c’est pas mes oignons », de renverser la situation. De jouer sur « ça n’a pas de prix, c’est inestimable »...mais cela n’est pas adapté à l’image et cela trouble la compréhension. L’affiche mise trop sur le verbal et il n’est pas tenu compte de l’interaction entre l’image et le texte.

De plus, dans la réalité objective, « nourrir la planète a un prix »... le prix à payer, ce sont beaucoup d’efforts qu’il faudrait réaliser !

Le mode publicitaire peut très bien fonctionner pour des ONG si elles veulent transmettre un message simple, si elles veulent jouer sur l’affect et visent un don rapide. Comme il est communément admis que les gens donnent surtout pour les enfants, que ce sont les enfants qui les touchent le plus, on voit effectivement beaucoup d’enfants sur les affiches, surtout noirs. On voit aussi beaucoup de femmes, mais peu d’hommes et surtout très peu d’hommes en train de travailler.

Le grand danger de l’utilisation du modèle publicitaire pour la communication des ONG, c’est qu’en raison de ses attributs et objectifs, elle simplifie énormément la réalité et que cette réalité (du Sud et des relations Nord-Sud) est, la plupart du temps, d’une part médiatisée (la majorité des personnes n’ont pas accès au vécu des organisations du Sud) et qu’elle est médiatisée surtout dans ce qu’elle a de problématique (catastrophes, maladies, pauvreté). La communication des ONG vient alors renforcer une vision négative ou simpliste de la réalité et forge l’idée de l’aide comme le seul moyen de s’en sortir, ne questionnant en rien les conditions de production de la pauvreté dans le Sud et l’implication du Nord dans celle-ci.

Ce qui est communiqué en terme de relation, c’est que nous détenons le pouvoir éventuel de les sauver et que les gens du Sud sont des victimes. Nous sommes donc dans une position supérieure à eux. Etre sauveur peut procurer une certaine satisfaction personnelle, égale à celle que l’on peut avoir quand on consomme un produit vanté par une publicité qui nous a séduits. Nous devons en effet gérer notre malaise car, même si nous avons des difficultés, nous vivons bien mieux qu’eux ! Pour gérer notre malaise, notre culpabilité, nous « sauvons » de temps en temps quelques enfants du dit tiers monde. Et nous vivons comme nous voulons.

S’appuyer sur des messages publicitaires

Certaines ONG jouent sur des slogans publicitaires pour attirer l’attention et pour communiquer sur notre société de consommation.

Dernièrement, Entraide et fraternité, en Belgique, a produit une affiche dont le slogan était « devenez scandaleusement solidaires » faisant référence à la publicité de la loterie : « devenez scandaleusement riches ». L’image montre un enfant (qui rit !) ce qui est un peu dommage car l’ONG aurait pu aller plus loin dans son message en imitant plus celui de la loterie qui montrait, lui, un homme en train de se baigner dans une fontaine, dans le jardin d’un grand château avec un serviteur, les pieds dans l’eau, en livrée, qui lui apporte son champagne. On aurait pu voir, dans l’affiche d’Entraide, les attributs du solidaire, on aurait pu voir des gens de chez nous auxquels on aurait pu s’identifier pour être « scandaleusement solidaires ». L’idée était très bonne car ce slogan, tout le monde le voit, il est partout et tout le monde (pas vous ?) rêve de devenir scandaleusement riche !

L’ASTM, au Luxembourg, a récemment réalisé une campagne s’appuyant également sur la publicité. Le cadre dans lequel elle a agi est le suivant : elle souhaitait réaliser une campagne grand public, déclinée en quatre temps (quatre affiches) et visait à stimuler la solidarité. Ces affiches ont été installées dans des abribus. Il fallait donc que le message soit court, lisible, frappant, puisque les gens ne font que passer, soit à pied, soit en voiture.

Elle a travaillé avec une agence de publicité qui a proposé de s’appuyer sur des messages publicitaires. Les affiches sont chaque fois déclinées comme suit : un message publicitaire inclus dans une image du Sud , en dessous de l’image, l’annonce d’un site, un slogan qui fait référence aux droits, un passage de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le logo de l’ASTM.

Un des slogans est « la vie, la vraie » (slogan d’une chaîne de distribution). L’image montre deux femmes et un enfant dans une cuisine en train de préparer à manger. On peut les supposer en Amérique Centrale. Le slogan du dessous : « la distribution des richesses, pas un hasard, un droit fondamental ». Et un passage de la Déclaration des droits de l’homme faisant référence à la distribution des richesses.

Comment interpréter cette affiche ? Tout d’abord, il est indispensable que le lien avec la publicité du supermarché se fasse, sinon, cela n’a pas de sens. Si l’on joue sur « l’inférence, le monde partagé et donc sur l’implicite », il faut être sûr que le message soit bien connu.

Donc, logiquement, on est amené à comparer notre vie, du moins celle que nous propose notre société de consommation avec celle des femmes que l’on nous montre et de faire le lien entre notre richesse et la leur, à savoir que cette richesse n’est pas équitablement partagée. Pour ce faire, on nous invite donc à consulter un site
internet. Sur ce site, on trouve quelques informations sur la campagne, la Déclaration universelle des droits de l’homme, un forum. On y trouve également quelques informations sur l’intention des affiches et là, le message n’est pas très clair car on lit que « la vraie vie c’est autre chose que le confort auquel nous sommes habitués ». Qu’est ce que cela signifie ? Que ces femmes sont dans la vraie vie ?

Ce serait paradoxal car, si elles sont dans la vraie vie, pourquoi faudrait-il être solidaires avec elles ?

Autre affiche : on voit des petits enfants noirs, (4 à 5 ans tout au plus) en contre-plongée qui portent l’un, un seau, l’autre un jerrican sur la tête. Le slogan : « mon partenaire minceur ». Ensuite, la solidarité. Pas une faveur. Un droit fondamental. Et de nouveau un passage sur la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Cette affiche induit une certaine perplexité. Pourquoi « mon partenaire minceur » en lien avec cette image ? On connaît le slogan, c’est celui d’une marque d’eau minérale qui, soi-disant, fait maigrir. On peut donner plusieurs sens au message : ces enfants n’ont pas l’occasion de devoir maigrir, ils doivent en effet porter l’eau sur leur tête, des poids sûrement trop lourds pour eux. Vous avez l’occasion, le luxe de vous acheter de l’eau en bouteille pour maigrir, être en forme, alors qu’eux, à leur âge, doivent marcher et la porter sur la tête. Ils n’ont même pas l’eau courante, d’où soyons solidaires parce que c’est un droit...

Cela pourrait tenir la route, mais même si le site mentionne que cette affiche questionne le modèle de consommation, il nous dit aussi que cette affiche nous interpelle parce qu’elle montre que les enfants en question sont solidaires et que nous avons perdu, ici, ces comportements de solidarité. Or, la situation qui est montrée, le slogan et la manière de filmer rend plutôt une atmosphère dramatique où l’on ne voit pas, à priori, qu’il s’agit d’un acte solidaire mais plutôt d’un acte de survie. Même si ces enfants sont effectivement solidaires, ont-ils vraiment le choix ? Ne seraient-ils pas mieux à l’école ? On assiste de nouveau à un paradoxe. Qu’ont-ils vraiment voulu nous dire ?

Si c’est le premier sens qui est retenu « ils n’ont pas l’occasion de devoir maigrir, eux... », cela peut culpabiliser ou vexer les buveurs d’eau minérale qui veulent maigrir. La culpabilisation a été fort utilisée pour stimuler le don. Mais, comme il s’agit d’un sentiment désagréable, en général, on essaie de l’oublier le plus vite possible. De plus, la plupart des ONG ne souhaitent pas réellement culpabiliser les gens, mais plutôt les responsabiliser. Elles tombent malgré tout facilement dans un discours trop moralisateur.

Utiliser des slogans publicitaires peut être une bonne chose, puisque par le phénomène d’inférence, de monde partagé, on peut faire des liens, on peut donc proposer un processus de réflexion qui peut aller assez loin, qui peut montrer le caractère caduc de la consommation et la gravité de la pauvreté. On dirait qu’il y a, de la part de certains concepteurs, un plaisir à jouer avec ces slogans, à être un peu pernicieux, mais ça rend parfois les messages douteux, nébuleux, incompréhensibles, ce qui n’est pas, évidemment, l’objectif.

Est-ce que ces affiches peuvent susciter la solidarité, inciter les gens à mettre ou remettre la solidarité comme une valeur fondamentale dans leur vie ? Bien sûr, quatre affiches ne peuvent pas suffire à changer une attitude et encore moins un comportement. Dans ce cas-ci, ce qui est bizarre, c’est qu’on nous propose un site internet dont on pourrait attendre qu’il parle de solidarité. Ce n’est pas vraiment le cas. De plus, il n’y a pas d’interpellation réelle envers les personnes, pas de demande, pas de proposition.

Dans certains cas, les communications sont trop alambiquées. Pour être original, pour « jouer », on peut utiliser des slogans publicitaires, imiter, détourner, jouer sur l’humour... mais on dirait que le processus de création n’a pas été jusqu’au bout, qu’il manque une étape. C’est une pratique humaine assez courante : on a une bonne idée et on ne la lâche plus, on ne voit plus ses implications, les paradoxes auxquels elle peut conduire. On colle une image, et hop, c’est parti !

Les ONG tiennent trop peu compte de l’importance de l’image, elles s’appuient beaucoup sur l’écrit croyant que c’est lui qui va le plus marquer. Or, la compréhension du message se fait à travers l’interaction entre l’image et le texte. De plus, l’image a un pouvoir d’action important sur l’inconscient par le fait qu’elle provoque l’adhésion. Dans le cas de l’ASTM, les images sont trash, on y voit un bidonville associé à « enjoy » de Coca-Cola, des hommes, pieds nus, qui tirent une corde d’un bateau en décomposition avec le slogan « Do it » de Nike... L’association entre le slogan et l’image rend, bien sûr, caduque la société de consommation avec ses slogans de plaisir... Mais l’utilisation qui est faite par après de l’association entre l’image et le slogan publicitaire n’est pas bonne et le message reste moralisateur.

Il est possible que le problème de compréhension claire des messages vienne du fait que l’ONG, dans ce cas-ci l’ASTM, ait voulu utiliser en même temps le modèle publicitaire et un modèle socio-éducatif. Elle ne s’est pas facilité la tâche en se basant sur des slogans publicitaires. Cela montre, entre autres, que le temps est important. Trop de messages sont faits dans une forme d’urgence et les personnes qui « sont dedans » n’en voient plus les écueils.

Le détournement

Le détournement consiste ici (il a d’autres formes), à imiter complètement une publicité.

Un très bon exemple de détournement est la campagne menée contre Chiquita par les Magasins du monde Oxfam qui détournent d’ailleurs régulièrement des slogans publicitaires. L’affiche reprend les mêmes couleurs, graphiques que Chiquita. Mais, à la place d’une jeune femme souriante, on a une vieille pas souriante du tout. Et le slogan dit « ça va pas ? ». Ensuite, « Chiquita viole les droits de l’homme »

Avec très peu d’attributs, l’affiche dit tout ce qu’il y a à dire, donne une image négative de l’entreprise multinationale.

Oxfam a produit, au Royaume-Uni, une affiche qui s’inspire de celles que l’on produit en cas de disparition d’enfant (« missing »), on y voit bien la photo d’un enfant, mais ce qui est écrit en dessous, c’est « an education ». Amnesty a repris l’image bien connue de la poudre à lessiver qui « lave plus blanc » à partir d’un tee-shirt taché de sang par la torture, c’est donc Amnesty qui lave plus blanc.

Une autre affiche imite la publicité de Panzani, « des pâtes,des pâtes,oui mais des panzanis » ; on y voit le pape actuel qui lève les bras, dans un coin, un curé qui fait penser à Don Camilo, avec quelques attributs d’Italie dans l’affiche. Le slogan est « des papes, des papes, oui, mais des nazis ».

Dans les quatre cas, les ONG imitent complètement la publicité mais la détournent à d’autres fins. Cela peut créer de la surprise, par exemple, dans le spot d’Amnesty avec le tee-shirt, on peut s’attendre à ce que ça soit sur une poudre à lessiver, et puis découvrir que c’est bien plus grave que cela, donc être touché. Il en est de même pour le « missing, an education », où, de nouveau, ce n’est pas une personne qui manque mais tout un système éducatif.

Cette manière de faire favorise donc la comparaison qui est en soi, un processus de réflexion. Elle permet la décentration (la capacité d’avoir plusieurs points de vue) et enclenche donc un processus proche de la communication socio-éducative. Etant donné qu’ils s’appuient sur des publicités connues, qu’ils jouent sur l’humour ou sur la gravité, ils pourront sans doute davantage rester dans les mémoires parce qu’ils s’appuient sur du « déjà connu ». De plus, en imitant complètement la publicité, ces affiches « disent quelque chose de la pub », elles disent, « nous avons bien plus important à vous annoncer ».

La communication socio-éducative

Certaines ONG ont exploré d’autres manières de communiquer, qui s’éloignent de la communication publicitaire même si cela reste de la communication grand public. Elles se rapprochent donc de la communication socio-éducative.

A l’inverse de la publicité, la communication socio-éducative vise la décentration, la réflexion, elle s’intéresse aux personnes en tant que « sujets », capables d’avoir un point de vue et d’agir en conséquence. Elle joue sur le comportement, les attitudes et représentations. Elle recherche l’autonomie du destinataire, elle fait appel à sa rationalité, vise un impact à long terme.

Celle-ci est largement utilisée dans des secteurs comme la santé, la sécurité routière, l’environnement.

Certaines ONG visent également à provoquer la réflexion. Même en un message court. Une ONG irlandaise, par exemple, avait réalisé une affiche sur l’utilisation des images choc et misérabilistes du Sud dans la communication des ONG, qui disait « Si nous en voulions à votre argent, ils seraient sans espoir, sans aide et en train de mourir », des photos montrent des gens d’un peu partout (Sud) souriants.

Il s’agit ici d’une affiche de campagne qui communique sur la communication et fait donc réfléchir à l’éthique et au respect des personnes du Sud dans la collecte de fonds.

Le CCFD, en France, a produit plusieurs affiches qui permettent aussi la réflexion. Un exemple : « En 2000, on lui a versé 34 milliards de Francs pour l’aider à vivre et on lui a vendu 45 milliards de Francs d’armes pour l’aider à mourir. Avec le CCFD, agissez pour la paix ». L’image (noir et blanc) montre un soldat bardé de munitions qui regarde en face. Le texte, en jaune, remplit toute l’image, qui apparaît donc comme toile de fond. Le fait que le texte soit imprimé sur l’image permet une certaine décentration, en tout cas, il empêche l’adhésion à l’image. L’image vient nous dire de qui on nous parle, le « lui », c’est ce soldat. Le slogan est répétitif et oppose vivre et mourir. Le fait d’utiliser la comparaison entre ce qu’on donne pour vivre et pour mourir provoque la réflexion.

Une autre affiche produite par le CADTM et le CNCD joue également sur la comparaison. Et le paradoxe. L’affiche nous dit « cet enfant est riche ». Mais on voit un enfant, visiblement pauvre. Le texte poursuit en deux encadrés : Il produit « or, platine, pétrole, diamant, uranium, cuivre, zinc, pourtant il n’a pas droit à... » Et conclut : « Pour un autre développement ».

L’affiche veut donc démontrer toute la richesse potentielle de cet enfant et le paradoxe dans lequel il se trouve. Elle signifie que le développement actuel n’est pas le bon. Elle induit le questionnement et la réflexion.

Ces affiches sont des supports de campagne, dont certaines visent la collecte de fonds. On l’a vu précédemment, 11.11.11 flamand donne toujours un message politique lors de sa campagne qui est, en soi, surtout une collecte de fonds.

Sauveurs-victimes

Cela nous permet de nous poser des questions.

- Faire réfléchir et demander de l’argent, est-ce antinomique ?

- Le modèle publicitaire est-il vraiment adapté à des messages et objectifs sociopolitiques ?

A priori, on voit dans certains exemples que faire réfléchir et demander de l’argent n’est pas antinomique. A l’inverse, il semble que le modèle publicitaire ne soit pas vraiment adapté à des messages sociopolitiques. Réfléchir demande de la décentration, la capacité de sortir de son point de vue pour tenir compte de celui des autres. Or, la publicité vise la centration, l’adhésion immédiate.

Il se peut que certains messages d’ONG qui sont publicitaires ont pour impact d’augmenter les fonds des ONG, mais ils n’augment pas la compréhension des problèmes évoqués ni la responsabilisation des personnes touchées.

De plus, il se peut fort bien que les affiches jouent un rôle mineur dans la récolte de fonds, que la plupart des donateurs soient relativement fidèles aux mêmes ONG, que la récolte se fasse, notamment par des bénévoles qui vendent des produits, comme c’est le cas pour 11.11.11. On donne peut-être trop d’importance à l’impact que l’on attend de ces affiches et spots.

La publicité a sans doute de l’impact parce qu’elle est à grande échelle et qu’elle nous bombarde littéralement. Peu d’ONG ont la capacité de communiquer à une si large échelle.

On se demande donc pourquoi les ONG n’en profitent pas pour faire autrement, pour donner des messages plus clairs sur leurs vrais objectifs, sur leurs vrais soucis, pour diversifier les images qu’elles donnent, pour être plus créatives. Et pourquoi font-elles si souvent appel à des publicistes qui ne sont pas formés en communication socio-éducative ?

Collecte de fonds et éducation au développement, mariage impossible ? Ce débat là existe depuis vingt ans et n’a pas encore assez progressé.

Ce qui devrait nous faire réfléchir, c’est que la publicité et de nombreux médias ne cherchent pas à nous rendre intelligents, ils cherchent à nous « capter ». Or, ce n’est pas le but profond des ONG. Elles savent bien qu’elles ne doivent pas scier la branche sur laquelle elles sont assises et que si elles donnent des messages « sauveurs-victimes », le sauveur peut se transformer en bourreau. Et le public de se dire « quoi, après tout ce qu’on a déjà donné, ça ne va pas mieux ». Et pour cause, l’aide ne peut absolument pas résoudre les problèmes de développement dont les causes sont structurelles, ce que les ONG savent bien.

Si elles proposent des messages incompréhensibles, ou douteux, pas clairs, elles provoquent aussi des réactions qui ne sont pas celles qu’elles cherchaient. Le public peut se détourner de ces messages en se disant « J’ai rien compris, je vois pas ce qu’on me veut ». Par contre, c’est porteur de ne pas « tout dire » et que le destinataire enclenche lui-même un processus de réflexion. Le questionnement est un bon moyen pour provoquer cela.

Ce qui est important donc, c’est de réfléchir dans le long terme et surtout, de considérer le public comme intelligent, capable de réfléchir, pas uniquement le toucher sur l’affect, sortir de ce que nous offre la publicité comme relation, comme modèle de société, comme modèle d’humain.

Car le problème du développement n’est pas un problème affectif, de court terme, et de solution rapide et facile !