« Bombardements massifs sur le Cambodge. Tout ce qui vole fonce sur tout ce qui bouge », ordonnait Henri Kissinger en 1964 par Antonio de la Fuente
Ceux de 1964 —Mao, Martin Luther King, Sartre, Dylan, Mary Poppins, My fair lady et Zorba le Grec— ceux qui avaient voix au chapitre lorsqu’ITECO a vu le jour, que sont-ils devenus quarante ans plus tard ?
Zorba, après avoir subi et s’être débarrassé de la dictature des colonels, est entré avec son pays dans l’Union européenne, en 1981. Quant à My fair lady, n’était-ce pas une histoire de dépassement de soi par l’amour et la pédagogie ? Et Mary Poppins, une histoire de nounou, de ramoneur et de suffragette ?
Amour de nounou et pédagogie de suffragette pendant que l’armée américaine tuait au Vietnam. A présent, elle tue en Irak. Abou Ghraib aujourd’hui, hier My Lai. Entre l’un et l’autre, ce fut le Cambodge et le Laos, le Kuwait et l’Afghanistan, pour ne parler que de l’Asie. « Bombardements massifs sur le Cambodge. Tout ce qui vole fonce sur tout ce qui bouge », ordonnait Henri Kissinger, à l’époque secrétaire d’Etat américain. Henri Kissinger, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1973, la même année où il manigançait pour provoquer le coup d’Etat de Pinochet au Chili. Ce prix est censé récompenser « la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ». Allons donc.
En 1964, c’est Martin Luther King qui recevait le prix Nobel de la paix. Il se faisait assassiner l’année suivante. La même année 1964, le prix Nobel de littérature était attribué à Jean-Paul Sartre. Il le refusait, dans un geste qui préfigurait mai 68.
Nelson Mandela n’avait pas voix au chapitre en 1964. Bien au contraire, il croupissait dans une geôle à Robben Island. Entretemps, il est devenu le père de la nouvelle Afrique du Sud et il investit ses dernières forces pour ramener la paix en Afrique centrale.
En 1964 toujours, Mao regagnait Pékin en traversant le fleuve Yangzi à la nage pour s’attaquer aux « quatre vieilles » —pensées, coutumes, mœurs et cultures anciennes. La Révolution culturelle allait donner un coup de boutoir aux derniers vestiges de la réaction alliée à l’impérialisme. Qu’en est-il quarante ans plus tard ? D’après The Economist, l’économie chinoise serait la deuxième de la planète à l’aune de l’indice Big Mac, calculé sur base du prix du hamburger partout dans le monde. Understand ?
Enfin, c’est Bob Dylan qui incarne le mieux le changement d’époque, lui qui en 1964 chantait « Les temps vont changer ». Aujourd’hui, il chante toujours, mais dans des pubs de lingerie féminine Victoria’s secret. Quarante ans après, les temps ont bel et bien changé, mais pas toujours dans la direction prévue.
Publié dans Antipodes n° 165, juin 2004