Mia Couto, romancier mozambicain : « Je suis Mozambicain, Africain, blanc. J’appartiens à une tribu quasiment éteinte », propos recueillis par Norberto Costa pour le journal angolais Agora
• António Emilio Pinto Leite est votre nom de baptême. Pourquoi Mia Couto ?
• C’est à cause des chats. Quand j’avais deux ou trois ans, je vivais au milieu des chats. J’ai demandé à mes parents de m’appeler Mia et ils ont accepté. Et je me suis mis à vivre avec cette ambiguïté de vivre avec un nom inventé par moi-même.
• Le dernier vol du flamant, titre de votre dernier roman, exprime vos préoccupations écologiques ?
• Non ! Quand j’écris, je ne suis pas écologiste, mais bien écrivain.
• Vous êtes né dans la ville de Beira, au Mozambique. Qu’est-ce que Beira représente pour vous ?
• Beira représente mon enfance. Et comme tous les écrivains, je vais chercher dans mon enfance la matière principale de mes fictions. C’est une sorte de trésor, où je vais toucher cette richesse des premières expériences vitales. A Beira il n’y avait pas de grands conflits raciaux ou ethniques. C’était une ville qui se ré-inventait à elle-même. C’était presque une fiction !
• Vous avez commencé en écrivant des poèmes.
• La poésie fut un moment dans mon chemin littéraire. Mais d’une certaine manière, je n’ai jamais quitté la poésie en tant que système de pensée, non en tant que genre littéraire. Je travaillais comme journaliste, je me trouvais devant des situations que j’aurais aimé raconter. C’étaient des situations humaines complexes qui demandaient à être racontées dans une nouvelle. Et là je me suis aperçu que je ne savais pas faire cela en employant ce portugais formel qu’on m’a appris à l’école, à travers lequel je ne parvenais pas à rendre la vivacité, l’âme de ces situations.
• Dans votre livre Chaque homme est une race, vous prenez le symbolisme de l’arbre sacré. Comment les croyances, les mythes, la magie s’articulent-ils dans votre imaginaire créatif ?
• Ces éléments-là se trouve partout dans mes livres et ils sont le meilleur de ceux-ci. Mais ce ne sont pas des croyances au sens anthropologique ou exotique : « Regardez comme c’est amusant. Les Africains ont de trucs... ». Non ! Ces croyances portent une philosophie profonde. Une manière de regarder le monde autrement. Moi je voudrais simplement mettre en lumière ces choses pour montrer que l’Afrique pense autrement, sent autrement.
• Un peu comme le réalisme magique latino-américain l’a fait.
• Exactement. Un peu dans la ligne du réalisme fantastique mais sans l’intention littéraire. Je ne suis pas en train de dire que je vais essayer de faire du réalisme magique ou fantastique. Non. Si vous faites cela vous produisez un bidule. Ce que je veux c’est raconter une histoire et je sais le faire de cette manière. Les académiciens, qui adorent faire cela, vont ensuite « scalpéliser » le texte en essayant de répondre à la question : comment faut-il le classer ?
• Dans une interview à un journal portugais vous affirmez que peut-être si vous étiez noir vous représenteriez mieux le Mozambique...
• Je ne sais pas si j’ai dit cela. Ce que j’ai dit est que si j’étais noir, je serais pour certains mozambicains un meilleur représentant du Mozambique. Mais je ne représente rien ! Même en étant noir ou jaune ou de n’importe quelle couleur, un écrivain ne représente que lui-même. Aucun écrivain ne représente toute une nation, cela n’est qu’une fiction. Ce que je peux dire est que je n’ai pas de problèmes d’identité : je suis Mozambicain, Africain, blanc. J’appartiens à une tribu quasiment éteinte. Nous sommes aujourd’hui deux à trois mille au Mozambique. Le dernier recensement a montré ces chiffres et je n’ai pas à les déguiser, je n’ai pas besoin de revendiquer quoi que ce soit à cet égard. Nous savons ce que nous sommes et personne d’autre ne peut le dire à notre place. Je n’ai pas besoin de proclamer : Vous êtes moins Mozambicain que moi. Je trouve qu’ici en Afrique on en arrive à des situations ridicules. On ne peut pas affirmer que celui qui est plus Mozambicain est plus foncé de peau et celui qui a la peau plus claire l’est moins.
• Y a-t-il des difficultés à ce sujet aujourd’hui au Mozambique ?
• Il y en a, oui. Il est vrai qu’il y a une certaine crise dans la distribution de la richesse. Et lorsqu’il y a crise dans la distribution de la richesse, il y des types qui disent : Et moi ? Je ne reçois rien, parce que je suis du Nord ou parce que je suis du Sud, ou parce que je suis de la tribu untel ou de la race untel. Cela est un fait qui revient de manière systématique. Lorsqu’il y a une crise dans nos pays il y en a toujours un qui va dire : Je devrais avoir des privilèges car j’ai fait la lutte armée ou ceci ou cela.
• Et maintenant qu’au Zimbabwe on prend les fermes des Blancs, comment est-ce qu’on ressent cela au Mozambique, alors que les Boers veulent s’y implanter ?
• Le Mozambique vient de répéter que s’ils veulent aller chez nous, ils seront bien reçus •.