Le village des hommes intègres

Mise en ligne: 29 septembre 2006

C’est un étrange village du fond de l’Afrique que fait découvrir le roman de
Gaston-Paul Effa : « Le cri que tu pousses ne réveillera personne », par Xavier Godts

Le Village des hommes intègres est comme coupé du monde, hors du temps. Mais le récit va nous le montrer livré à une famine, puis à une épidémie de typhus qui le décime. En réchappe notamment le chef du village, Makaya, « homme de silence aux racines obscures, adonné à la terre et au ciel, à leurs continuels échanges, homme d’alliance et de perspicace modestie, obstiné, indolent, homme rare ». En réchappe aussi le jeune Doumé, que vient rejoindre sa fiancée Imah.

Mais pourquoi le mal s’abat-il ainsi sur le village ? Et pourquoi Makaya est-il brusquement arrêté par des policiers et jeté en prison ? Pourquoi Doumé et Imah sont-ils victimes de négriers, réduits en esclavage, astreints aux travaux forcés ?

Ils reviendront toutefois. Mais Makaya ne survivra pas longtemps à l’épreuve. Et c’est Doumé, devenu aveugle en captivité, qui sera le nouveau chef du village. Cette responsabilité, il la partagera avec Imah, à qui, le soir du rite d’intronisation, il dit : « Tu es mon regard ».

Ainsi dans la finale du récit apparaît ce qui est de l’ordre du nouveau, de la transgression : Doumé allait « jusqu’à transgresser la loi selon laquelle un chef de la tribu Etenga n’avait pas le droit de s’afficher avec une femme ». Déjà Makaya, lors d’une cérémonie d’initiation, avait posé un geste significatif : en acceptant d’initier un Européen, il avait ouvert la perspective d’une humanité mêlée.

Ainsi le village africain prend-il à nos yeux une dimension universelle : celle d’une humanité déchirée, meurtrie, mais qui trouve en elle, dans sa propre histoire, dans ses racines profondes ,la force de survivre, de résister, d’espérer en une réconciliation possible, de refuser la fatalité. N’est-ce pas « le tendre manteau de la liberté » qui, dans une dernière image, apparaît à Doumé comme une « torche brandie dans le lointain » ?

Mais les personnages qui apparaissent dans le récit sont multiples ; tout aussi porteurs de vie, de souffrance, d’espoir que Makaya, Doumé et Imah sont les ancêtres, dont les gestes invisibles sont impérissables, et encore les éléments naturels, le vent, la pluie, et aussi les animaux, les plantes, les pierres... Le roman introduit à une symbolique riche et multiple par laquelle des ponts se révèlent entre passé et présent, entre mort et vie, entre ténèbres et lumière.

C’est dans la collection Continents noirs de Gallimard que paraît ce troisième roman de Gaston-Paul Effa, né en 1965 au Cameroun, arrivé à seize ans en France où il enseigne la philosophie.