Verra-t-on bientôt notre Manneken Pis national trôner fièrement sur le drapeau de la Croix-Rouge ?, par Samy Hosni
Sarajevo 1992. Une camionnette frappée d’une croix rouge sur fond blanc embarque les blessés d’un conflit sanglant. Image d’Epinal célèbre, désormais révolue ? Peut-être. Sans doute l’action courageuse de la Croix-Rouge continuera d’exister, mais rien n’est moins sûr pour son emblème. Choisie sans connotation religieuse, la croix fut plutôt adoptée par association avec la Suisse, pays de neutralité. C’est justement l’Helvète Henri Dunant , bouleversé par le spectacle dantesque de la bataille de Solferino —entre Français et Autrichiens sur sol italien en 1859— qui mobilisa l’opinion internationale. Son livre Souvenir de Solferino prône l’utilité d’une organisation neutre pouvant pallier les carences des services sanitaires de l’armée en venant efficacement en aide aux blessés.
Cette organisation voit le jour en 1863 à Genève et déjà la question du drapeau est à l’honneur : il faut pouvoir accéder sur les champs de bataille en toute sécurité et donc identifier les infirmiers par un signe distinctif. L’étendard blanc a les faveurs de la majorité des intéressés, mais il est déjà utilisé à l’époque par les parlementaires allant s’entremettre dans la zone des conflits. L’idée d’y ajouter cette fameuse croix rouge s’impose, donnant à elle seule son nom à l’organisation. Rouge sur fond blanc, le drapeau à l’avantage d’être visible de loin, vite compréhensible par son graphisme rudimentaire et neutre comme la Suisse par son symbole.
Ce symbole vit peut-être ses dernières heures : la société de secours israélienne réclame en vain depuis sa création il y a septante ans, la reconnaissance par le Comité international de la Croix-Rouge —CICR— de son emblème propre, c’est-à-dire l’étoile —ou le bouclier— de David qui lui donne son nom : Magen David Adom. Cette dernière s’est toujours vu refuser son adhésion par son refus d’embrasser tous les statuts de la fédération et du CICR ainsi que les conventions de Genève qui définissent le droit international humanitaire. Normal : l’adhésion suppose qu’on adopte l’emblème officiel, la croix ou le croissant rouges, et rien d’autre. Cette situation a offusqué la Croix-Rouge américaine qui est entrée en conflit ouvert avec ses consoeurs et à suspendu ses dons aux deux organisations internationales les chapeautant, le CICR et la fédération internationale des sociétés de la Croix et du Croissant rouges. Lorsque l’on sait que la contribution de leur homologue américaine représente 25 % du budget total de l’organisation internationale, ce chantage a suscité une vive polémique. L’otage de cette crise est, en effet, l’ampleur des missions d’assistance aux victimes de catastrophes naturelles et l’aide aux sociétés soeurs se trouvant dans les pays les plus démunis. Cette mesure de rétorsion est d’ailleurs soutenue par certains journaux américains tel le Washington Post qui réclame le blocage des cinq millions de dollars revenant au CICR : « Ce n’est pas de l’aide humanitaire, c’est de l’entretien de luxe pour les bureaucrates de Genève … ». Il faudrait surtout s’interroger, comme l’écrit Claire Tréan dans Le Monde du 30 juin 2000, si « en période préélectorale aux Etats-Unis, la Red Cross américaine ne tenterait- elle pas de jouer de son influence présumée sur le vote juif pour obtenir des pouvoirs publics qu’ils exercent eux aussi des mesures de rétorsions budgétaires ? ».
Pourquoi diable le CICR débouterait- il la demande de son homologue israélien alors que le croissant de l’Islam a été accepté pour emblème en 1929, après qu’en 1876 la Société ottomane de secours ait demandé au CICR de modifier son emblème. Le contexte politique est alors tendu : les Turcs sont en guerre contre la Russie et tout ce qui est assimilé à une croix est soumis à destruction. A contre- coeur l’organisation adopte une dérogation provisoire pour ce nouvel emblème et c’est en 1929 que l’unicité sera enterrée officiellement. L’Iran également se verra reconnaître son symbole humanitaire : le lion et le soleil rouges pour se tourner définitivement vers le croissant en 1980.
Cette reconnaissance fut une erreur pour le principe d’unicité qui fait la force de la Croix- Rouge et qui permet de reconnaître l’organisation sans aucune confusion. Elle introduit une dimension culturelle au drapeau du CICR contraire au but de celui-ci qui se doit de ne faire aucune distinction entre nationalités, races, conditions sociales ou appartenances politiques. En 1949, le CICR entreprit une révision de la convention pour revenir à l’emblème unique d’origine mais en vain. La porte fut désormais ouverte à toute revendication nationale ou culturelle : la Syrie voulut une palme rouge pour se démarquer de la domination ottomane, la Thaïlande une flamme, l’Afghanistan un arc, le Soudan un rhinocéros, et ainsi de suite.
Si le CICR sait qu’il faut arrêter la profusion de symboles dans un souci de faciliter la reconnaissance de ses membres, revenir au drapeau originel est également exclu. Le mouvement de la Croix-Rouge s’est attelé au problème pour en finir avant la fin 2000 avec cette querelle. Si la juxtaposition du croissant et de la croix, voire de l’étoile —comme il se fait au Kazakhstan ou en Erythrée dans un souci d’équilibre religieux— a été écarté, le CICR semble avoir trouvé une solution : il s’agirait de créer un troisième signe, exempt de toute connotation religieuse ou nationale. Ce nouveau symbole ressemble à un carré rouge sur sa pointe. Cette dernière est blanche pour ceux qui désirent y insérer une référence identitaire. L’idée a été accueillie positivement par toutes les parties y compris les Israéliens, la seule voix discordante étant celle des Américains. Si la proposition est accordée, il faudra réviser les conventions de Genève. C’est dans ce but que les représentants de 188 pays ont été convoqués à une conférence diplomatique en octobre. Croix, étoile ou croissant ? La question pourra être enfin réglée. Et qui sait, bientôt verrons-nous notre Manneken Pis trôner fièrement sur le drapeau de la Croix-Rouge ?