Comment arrive-t-on à à avoir le même nombre de petit pois dans toutes les boîtes de conserve ?
La coopération non gouvernementale belge date d’il y a un peu plus de cinquante ans. Dire que pendant ce demi-siècle de vie elle a connu plus de cinquante tentatives de réforme, ce serait exagérer... un peu. Dans les faits, chaque ministre de la coopération ou presque a tenté d’imposer sa réforme mais seulement certains y sont arrivés.
Ces vingt-cinq dernières années, pour ne pas aller trop loin, trois réformes majeures ont vu le jour. Au début des années nonante, la réforme du ministre Geens a cherché à professionnaliser le métier de coopérant-ONG. Le résultat en est qu’à présent ce métier a quasiment disparu.
Ensuite, au milieu des années nonante, la réforme du ministre Moorels s’est appuyée sur deux idées fortes : impulser l’éducation au développement et la pratique de l’évaluation. Une recherche en cours à ITECO montre que, encore de nos jours, l’éducation au développement éprouve beaucoup de difficultés à quitter sa zone de confort traditionnelle, à savoir les écoles pour la classe moyenne. Depuis le temps de la réforme citée, l’éducation au développement a peut-être évolué sur quelques aspects mais pas beaucoup concernant les publics auxquels elle s’adresse.
Quant à l’évaluation, en ce qui concerne les rapports entre les ONG et l’administration, elle adopte désormais la forme de mesures quantitatives dites screenings, pierre angulaire de la réforme de la coopération non gouvernementale en cours.
« Le screening a jugé les ONG comme si elles étaient des usines de production de boîtes de conserves », écrit Vincent Stevaux dans ce numéro. En fait, comment est-ce qu’on arrive à avoir le même nombre de petit pois dans toutes les boîtes de conserve ? A coup de screenings, pardieu !
« En 2015, malgré les promesses répétées de simplification administrative, les ONG ont écrit quelque 7.500 pages de rapports administratifs en tout genre » —calcule Bruno Bauraind, du Gresea, dans une Carte blanche à paraître dans la presse. « Sont-elles lues ? Impossible vu la restructuration également à l’œuvre dans l’administration. Par contre, l’orgie bureaucratique permet de faire la distinction entre deux types d’ONG. Celles qui ont les moyens d’y répondre, même si pour ce faire, elles doivent mettre de côté leur mission de solidarité internationale, et celles qui sont irrémédiablement éliminées, faute de moyens. En d’autres termes, on empêche les premières de travailler et on élimine les secondes ».
« 25 des 29 ONG ayant perdu leur reconnaissance sont francophones » —poursuit Bruno Bauraind. « Ce déséquilibre géographique ne s’explique pas seulement par la composition actuelle du gouvernement fédéral. Les ONG francophones sont, en moyenne, des structures plus petites que les organisations du Nord du pays. Or, par la lourdeur administrative des procédures d’évaluation, la réforme actuelle, et les précédentes, privilégient la constitution de grandes structures. C’est le règne du big is beautiful, principe progressivement imposé aux ONG par les instances internationales depuis 2005 sans aucun test empirique. Les grandes organisations seraient mieux gérées et présenteraient moins de risques pour les finances publiques que les petites. Ce cul de sac idéologique a démontré tout son absurdité lorsque les banques, soi-disant trop grandes pour faire faillite, ont déséquilibré l’économie mondiale en tombant les unes après les autres en 2008. C’est pourtant la recette appliqué aux ONG ».
Quoiqu’il en soit, les conséquences de cette énième réforme de la coopération ne se sont pas fait attendre et parmi les ONG qui se sont vues retirer leur agrément et ne pourront pas prétendre directement à obtenir des appuis de l’Etat en termes de cofinancement de leurs activités, il y en a qui ont une solide expérience derrière elles. « L’exercice n’a eu aucun but formatif, n’a abouti à aucune recommandation. Il n’y a pas de proposition possible pour surmonter cette difficulté ni de chemin à suivre pour changer la situation. Elle va directement au cœur de ce qu’on cherche : inclure ou exclure. Surtout, exclure pour diminuer le nombre de demandeurs de subsides », écrit à ce propos Cecilia Díaz, de Frères des hommes.
ITECO a réussi le screening et a présenté un programme d’action pour les années à venir dans le nouveau cadre fixé par la réforme. Ce qui ne nous empêche pas de donner notre avis sur les conséquences négatives de cette réforme, ni de donner aussi la parole tant à ceux qui ont porté la réforme et la soutiennent qu’à ceux qui en subissent les conséquences.
Bonne lecture.