Et encore moins calquée sur les objectifs de la coopération gouvernementale, propos d’Etienne Van Parys recueillis par Seydou Sarr
Eteinne Van Parys, ces dernières années, en tant que secrétaire général -jusqu’en juillet dernier- de la Fédération des ONG belges francophones, Acodev, vous avez suivi les négociations en vue de la réforme de la coopération au développement. En quoi une telle réforme est-elle nécessaire ?
La nécessité repose sur le fait que les acteurs ont évolué, de même que les pays bénéficiaires depuis la décolonisation et même avant. Les changements ont amené ces pays à participer davantage et de manière plus ou moins importante au développement international. On ne peut donc plus faire de la coopération au développement comme on le faisait dans les années soixante et quatre-vingt. Il est donc tout à fait normal, voire indispensable, qu’il y ait une réflexion et une évolution du rôle des acteurs.
En Belgique, la réforme en cours de la coopération au développement porte essentiellement sur une évolution des relations entre l’autorité publique, principal bailleur de fonds, et les acteurs non gouvernementaux. Elle est le résultat de discussions entamées entre 2011 et 2012, à la demande de l’administration, qui a manifesté la volonté de se réformer elle-même. Une réorganisation interne rendue nécessaire par la diminution du nombre de fonctionnaires dans de nombreux départements ministériels et services administratifs, dont la Direction générale du développement, DGD.
Dans le même temps, le ministère en charge de la coopération a interpelé les organisations de la société civile pour une réflexion et des discussions sur la redéfinition des relations entre le gouvernement et tous les autres acteurs de la coopération au développement. Une démarche inhabituelle et à l’opposé des réformes précédentes, qui voyaient les acteurs de terrain prendre l’initiative pour faire évoluer les choses, en ce qui concerne notamment la prise en compte de leur rôle dans la coopération et leur approche du développement.
Dans le cas présent, nous sommes dans une démarche différente. Estimant que le soutien aux acteurs non gouvernementaux pèse lourdement sur le budget de l’Etat, l’autorité publique a proposé une restructuration du ONG, avec comme mesure principale, une concentration géographique, pour plus d’efficacité dans les interventions.
Une des faiblesses de cette proposition est qu’elle se fait au détriment de la spécialisation thématique. Les ONG ont réagi en insistant sur le fait qu’elles ne travaillaient pas par pays mais suivant des problématiques, sans toutefois négliger la création de ponts entre les pays, entre différentes dynamiques qui existent par exemple en Amérique latine et qu’on ne retrouve peut-être pas suffisamment dans tel ou tel pays d’Asie ou d’Afrique. De nombreuses ONG ont compris et intégré ces dernières années la dimension internationale des problématiques de développement. Je pense qu’il y a une nouvelle dynamique au sein de la société civile belge, qui porte sur la façon d’opérer et de réfléchir sur les problématiques de développement et sur la responsabilité conjointe, ici et dans les pays du Sud. Dans les discussions et négociations qui ont lieu depuis 2012, le défi est de remettre les problématiques et les questionnements des ONG au cœur du débat sur l’évolution de la coopération au développement. Pour les acteurs non gouvernementaux, la réforme ne doit ni être imposée de l’extérieur, ni être simplement calquée sur les seuls objectifs de la coopération gouvernementale.
Il y a eu des négociations avec le ministère pour définir les grandes lignes de cette réforme. Les ONG ont-elles pesé sur la conclusion d’un accord en 2015 ?
L’accord conclu avec l’actuel ministre, en août 2015, n’a pas été formellement signé, les acteurs non gouvernementaux craignant de ne plus avoir les moyens de peser sur la finalisation des textes légaux. L’accord définitif a donc été mis en suspens et il y a eu une concertation suivie dans la mise au point de la loi et de l’arrêté royal.
Il faut par ailleurs souligner qu’en fin 2013, il y a eu une rupture dans les discussions entre le ministre de l’époque et les acteurs non gouvernementaux. L’administration voulait imposer une orientation beaucoup plus stricte de la coopération non gouvernementale, avec un cadre d’intervention calqué ou articulé sur la coopération bilatérale. Ce cadre exigeait une concertation opérationnelle entre tous les acteurs, dans tous les pays d’intervention. Les ONG ont tout naturellement opposé une fin de non recevoir à cette vision des choses.
Suite à cette rupture dans les négociations, l’administration et le cabinet ministériel de l’époque ont, de manière unilatérale, introduit des propositions de textes, propositions rejetées par le Conseil d’Etat qui a jugé les textes mal ficelés. Pourtant, en tant que fédération, nous avons toujours insisté sur la nécessité, avant tout changement de réglementation, d’une concertation, de l’élaboration jusqu’à leur finalisation et la publication des textes.
Avec le changement de gouvernement en 2014, le nouveau ministre et son chef de cabinet, qui se trouve être l’ancien directeur de l’administration lors des négociations avortées, ont remis le dossier sur la table. Ils ont lancé une négociation beaucoup plus serrée mais toujours avec le même objectif : calquer les programmes et les interventions des acteurs non gouvernementaux sur la manière de faire de la coopération gouvernementale. L’administration ne manque d’ailleurs jamais l’occasion de souligner que la réforme engagée en son sein l’a rendue plus forte et plus efficace, en raison principalement de son approche basée sur la concentration géographique. Sans doute, y a-t-il une certaine frustration de voir que cette approche ne correspond pas à la vision des ONG, qui privilégie l’aspect thématique, sans pour autant négliger la dimension géographique.
Que va-t-il changer sur le plan opérationnel ?
Le changement, ce n’est pas tant sur le plan opérationnel, mais bien plus dans la mise en place d’un dialogue pour définir les stratégies. Lors de l’examen des programmes pluriannuels et des projets soumis par les acteurs, on se contentait bien souvent de discussions opérationnelles, portant notamment sur le budget et les résultats à atteindre. Les programmes sont aujourd’hui examinés avec une vision beaucoup plus stratégique, avec des analyses contextuelles communes et, dans la nouvelle réforme, des cadres stratégiques communs. Ces cadres stratégiques sont en fait une proposition des ONG qui acceptent le principe de la concentration géographique, à condition de ne pas dépouiller les acteurs de leurs programmes. Les ONG ont adhéré au principe de discussions entre tous les acteurs, sur une thématique précise ou sur tel ou tel pays. C’est ainsi que la thématique « travail décent » a été maintenue comme thématique à soutenir. Le mécanisme fonctionne donc sur la base d’une préparation et des discussions beaucoup plus axées sur les stratégies à mettre en œuvre, avec une analyse de la situation du pays, les autres intervenants présents, la manière d’aborder les thématiques environnementales, les questions agricoles, de genre, de santé.
Et bien entendu, nous avons tout fait pour éviter que ce cadre stratégique ne soit considéré comme un sous-produit de la politique belge dans le pays partenaire. Mais notre position n’exclut pas la recherche d’articulations dans un certain nombre de domaines, mais pas nécessairement. Ce qu’il faut aussi saluer, c’est que cette dynamique a contribué au renforcement de la concertation entre les différents acteurs de la coopération non gouvernementale. Le dialogue étendu donne lieu à des alliances parfois surprenantes, qui peuvent aller jusqu’à la présentation de programmes communs. Il s’agit là d’une avancée remarquable, qui va dans le sens du renforcement du secteur.
Le défi qui reste à relever, c’est la transposition de cette dynamique dans la relation avec les responsables politiques de la coopération belge au développement. Je pense qu’il faudra avancer avec vigilance dans la construction de cette dynamique avec l’administration et les coupoles nationales que sont le CNCD et l’organisation néerlandophone 11.11.11, qui devront veiller à ce que les contraintes budgétaires inévitables ne conduisent à imposer les priorités gouvernementales en lieu et place des stratégies mises au point par les acteurs non gouvernementaux.
Suite à un screening organisé par l’administration, des ONG ont perdu leur agrément et n’ont plus accès aux financements publics. Quelle est votre opinion sur cette question ?
Il faut d’abord admettre que, avec ou sans screening, des organisations peuvent être amenées à disparaître, en raison de difficultés internes, liées à l’absence de renouvellement, à une perte de vigueur ou de pertinence. C’est dans la nature même de la vie associative qui est faite de périodes de croissance et d’autres de perte de vitesse.
Le screening dont il est question, le troisième en réalité, portait sur la capacité de gestion des organisations appuyées par l’Administration publique. Le processus de contrôle portait sur la gestion financière, mais aussi sur le fonctionnement et la capacité d’arriver aux objectifs fixés.
Au-delà du système de cotation, critiquable en raison de son caractère secret, on peut reprocher au screening le fait que la formalisation a pris le pas sur les réalisations, c’est-à-dire la réalité sur ce qui font effectivement les organisations. Avoir des organisations qui fonctionnent de manière professionnelle est en soi une intention positive mais il ne faut pas oublier qu’une association n’a pas les moyens, n’est pas et ne fonctionne comme une entreprise. A mon sens, la manière dont le screening a traité, évalué et classé les organisations a pris au dépourvu certaines d’entre elles. Il n’est donc pas étonnant de constater que des acteurs, surtout des ONG, ont aujourd’hui perdu leur agrément.
Le budget de la coopération non gouvernementale va subir des coupes cumulées de plus d’un milliard d’euros d’ici 2019. Une mesure imposée ou négociée ?
Ce point a fait partie de la négociation et de l’accord conclu avec l’actuel ministre.
Pour rappel, il y a eu un premier accord en 2009, ce qu’on a appelé le Pacte, signé avec l’ancien ministre Louis Michel qui souhaitait davantage de concentration de la part des ONG, avec, en contrepartie, la garantie d’une augmentation budgétaire de 3%.
En 2015, le ministre De Croo a annoncé une réduction de 20% dans le budget accordé à la coopération non gouvernementale. Estimant qu’il ne fallait pas mettre un frein brutal à la croissance des ONG, il a proposé le principe de coupes cumulées, avec un étalement jusqu’à la fin de la présente législature, en 2019.
Avant d’engager les négociations en vue de la réforme, les acteurs non gouvernementaux ont posé comme préalable la signature d’un accord budgétaire. Ce que le ministre a accepté, fixant la réduction budgétaire à 8,5%, au lieu des 20% annoncés précédemment, mais à une condition : un accord sur la réforme.
Finalement, l’idée de pourcentage a été abandonnée et la réduction, pour l’ensemble des acteurs non gouvernementaux, sera de l’ordre de 1,2 milliards d’euros, à raison de 233 millions d’euros par an, jusqu’en 2019. En comparaison avec d’autres pays européens comme les Pays-Bas, l’Italie ou la France, on peut dire que la réduction budgétaire est certes importante mais pas trop pénalisante ou catastrophique.
La réforme prévoit la transformation de la Coopération technique belge, CTB, en une Agence belge de développement, ABD. Comment voyez-vous l’arrivée de cette agence et quelles pourraient être ses relations avec les ONG ?
Jusqu’à présent, sur le terrain, les collaborations entre la CTB et les acteurs non gouvernementaux sont peu fréquentes. Les ONG sont davantage des sous-traitants que des partenaires. Le schéma triangulaire dans lequel nous sommes y est sans doute pour quelque chose. D’un côté, l’administration qui joue encore un rôle dans la définition des stratégies et l’identification. Ensuite, la CTB dans un rôle d’opérateur et de mise en œuvre. Et enfin, les acteurs de la coopération non gouvernementale qui définissent leurs propres stratégies et peuvent, parfois, être des sous-traitants de la CTB.
Il faudra attendre pour voir comment l’agence va fonctionner par rapport à la DGD actuelle, si elle jouera un rôle dans la définition des stratégies. Aura-t-on une DGD qui deviendrait agence en intégrant l’aspect opérationnel de la CTB, ou inversement ?