Entre cohésion et transformation sociale

Mise en ligne: 21 septembre 2011

Le tryptique associatif combine valeurs, reconnaissance et apprentissages. Propos de Christian Boucq recueillis par Vanessa Stappers

Quel est votre parcours associatif ?

J’ai toujours été dans l’associatif. J’ai commencé mes engagements dans les mouvements de jeunesse et puis dans des structures culturelles telles que des maisons de jeunes et des centres d’expression et de créativité. Puis j’ai moi-même mis sur pied des associations, j’ai par exemple été membre et militant de la Ligue des familles et, dans ce cadre là, nous avons crée une ludothèque sous forme d’association. Nous avons également créé un comité de quartier et suite à cela, j’ai eu des engagements de type politique. J’ai aussi travaillé en France pendant quelques années pour former des animateurs de quartier. Je travaille actuellement au Mouvement ouvrier chrétien et j’interviens dans différentes formations dans ce cadre là ou dans d’autres formations sur l’éducation permanente et l’action collective.

Pourquoi les gens s’engagent-ils dans une association ?

Dans toute forme d’engagement, notamment professionnelle, trois éléments vont ensemble et vont faire qu’au plus un acteur les rencontre, au plus il va se sentir bien et continuer à s’investir :

D’abord, les valeurs et le sens que cela a pour moi : Je m’engage et je reste dans une association parce que cela a du sens pour moi. Plus cela sera porteur de sens et plus je serai en dispositon de m’engager fort. Mais le sens ne suffit pas car cela peut avoir beaucoup de sens pour moi, sans pour autant que je trouve ma place dans l’association.

Ensuite, la reconnaissance que j’obtiens grâce à mon engagement : je m’engage et je reste dans une association parce que j’y suis reconnu et que j’y suis d’une certaine manière valorisé par les autres. Je suis quelqu’un dont on tient compte à part entière, pour ce que je suis, accepté en tant que tel et qui peut, dans ce cadre là, assumer un rôle mais aussi recevoir et prendre en charge des responsabilités. En ce sens, le monde associatif, au contraire du monde privé et politique où les contraintes sont plus grandes, donne la possibilité d’évoluer dans des postes à responsabilité. Dans le monde associatif, il y a en effet 1001 possibilités de touver une place, d’assumer un rôle et des responsabilités quelle qu’en soit l’échelle (trésorier, responsable du bar, membre d’un conseil d’administration). Cette reconnaissance est beaucoup plus facile à obtenir au sein du monde associatif qu’ailleurs.

Et, enfin, les apprentissages que je peux y faire : on s’engage et on reste dans une association dès lors qu’on y fait des apprentissages.

Ce tryptique combinant valeurs, reconnaissance et apprentissages détermine en grande partie l’engagement d’une personne dans une association : plus ces trois élements sont portés et organisés par l’association, plus les gens trouveront intérêt à s’engager dans cette association et à y rester.

Que devrait faire une association qui cherche à mobiliser les gens et à susciter l’engagement, à votre avis ?

Je crois qu’elle devrait réfléchir et mettre au goût du jour, en permanence, les valeurs qui fondent l’association et constituent sa raison d’être. Aussi, valoriser ses membres, les reconnaître et les faire connaître (mettre leur photo dans le journal de l’association, décerner des prix, fêter les anniversaires de tout le monde, etc). Et, enfin, permettre des apprentissages (de type structuré, c’est-à-dire, permettant d’acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences).

Si l’apprentissage est de l’éducation permanente, si la reconnaissance et un vrai travail sur le fait que je suis reconnu et je reconnais les autres, et si les valeurs sont réfléchies, redites et rediscutées, alors on se trouve dans un associatif ouvert, c’est-à-dire, un associatif qui répond aux conditions de combiner valeurs et apprentissage en reconstruisant des valeurs communes : il ne faut pas s’appuyer sur des valeurs intrinsèques, pour elles-mêmes, mais bien combiner apprentissage et valeur en disant « apprenons à reconstruire ce qui pourrait faire valeurs pour nous et qui pourraient donner sens à la société dans laquelle nous sommes ». Il s’agit de confronter ses propres valeurs de référence (identifiées lors d’un travail de construction de sa propre identité) à celles d’autres personnes et de les faire évoluer ensemble.

Cela devrait combiner aussi reconnaissance et apprentissage en passant par l’auto-socio-construction des savoirs, c’est-à-dire un apprentissage que nous menons ensemble par l’expérience et par la reconnaissance que nous avons de nos savoirs respectifs. Je dispose de savoirs, tu disposes de savoirs, et ces savoirs mis ensemble peuvent donner une intelligence nouvelle. Il s’agit d’apprendre à travers la reconnaissance de nos savoirs réciproques en vue de construire un savoir neuf.

Et, enfin, combiner valeur et reconnaissance (en dépassant l’intrinsèque des valeurs et de la reconnaissance) en reconstruisant un « nous », c’est-à-dire une nouvelle identité commune (je + tu = nous). Nous avons à nous construire une nouvelle identité collective, en respectant les identités de chacun (par exemple, je suis Belge, tu es Italien) mais en intègrant les composantes d’altérité (par exemple, nous ne sommes pas que Belge et pas que Italien). Il ne suffit pas de se reconnaître mutuellement pour former un « nous ». C’est par exemple tout le travail de l’action féministe : Comment faire un « nous » ? Comment allons-nous nous redéfinir ensemble, nous, hommes et femmes féministes ?

A côté de ces trois piliers (valeurs, reconnaissance et apprentissages) et de leurs différentes combinaisons, bien d’autres éléments interviennent dans la mobilisation des énergies et dans l’engagement que les personnes peuvent mener, comme par exemple l’émotion (la marche blanche en Belgique) ; l’intérêt ou calculs d‘intérêt (j’ai intérêt à m’associer à d’autres car j’aurai plus de poids dans mes revendications) ; l’accès à des services : l’institutionalisation et la professionalisation (ainsi que les exigences de rigueur et de qualité du travail qui en découlent) ont amené certaines associations à développer leurs services et donner ainsi l’intérêt de s’associer pour accéder à ces services.

Par exemple, être syndiqué permet d’accèder à différents services –notamment juridiques- même si le but premier du syndicat est de se défendre ensemble ; or maintenant, certaines personnes s’associent à un syndicat non plus pour se défendre les uns les autres ou défendre les autres, ensemble, mais pour être défendues et accèder à des services. Cette forme d’action et d’activisme est donc née de la capacité à instituer des formes associatives qui produisent du service.

Enfin, il y a l’expérimentation (une motivation plus récente) : Le rôle de l’association est d’expérimenter. C’est parce qu’on expérimente, qu’on apprend, et que de cet apprentissage on peut tirer des leçons et des généralisations qui peuvent servir à d’autres, que je m’engage et m’investis dans une association. L’Etat a d’ailleurs besoin de ces associations comme lieux d’expérimentation, de la vie politique notamment : nombreuses sont les personnes engagées dans la vie politique qui ont été repérées par l’expérimentation qu’elles ont fait dans les associations. L’association est, en effet, un lieu dans lequel les gens peuvent se tester dans des domaines tels que la confrontation au pouvoir, la prise de parole en public, l’écoute de l’autre, l’argumentation. L’association est un laboratoire qui permet un apprentissage aux techniques, methodes et analyses de ce qui fait pouvoir. L’associatif est donc un lieu d’expérimentation pour les pratiques mais aussi pour les personnes elles-mêmes. Le tissu associatif est fort de tout cela.

Quel lien existe-t-il entre l’action collective et l’association ?

Ce qui peut être le raccord entre les deux, car il n’y a pas de lien automatique, c’est une forme d’engagement. Ce qui nous renvoie à la question : Pourquoi les gens s’engagent-ils ?

Nous pouvons toutefois distinguer deux types d’engagement : Ceux qui existent par souci de cohésion sociale et ceux qui existent par souci de transformation sociale (passant quasi obligatoirement par l’action collective).

Par rapport au premier, une grande partie de l’associatif vise cet objectif de cohésion sociale (qui peut être, par les temps qui courent, autant réactionnaire et conservatrice que porteuse de transformation sociale ; ce sont là deux types de cohésion sociale bien différents mais qui peuvent coexister). L’objectif de cohésion sociale pose la question du comment bien vivre ensemble dans un espace donné et renvoie à la question de l’altérité : vivre ensemble, c’est découvrir l’autre (différent) et trouver un chemin pour pouvoir vivre en harmonie dans un espace de vie partagé. Souvent, cette recherche de cohésion sociale se traduit par la recherche de communauté, c’est-à-dire mettre ensemble ceux qui se ressemblent (communauté de langue, de religion). On s’associe et on se réunit parce qu’on se ressemble (les associations des barbus, de joyeux moustachus, des joueurs de pétanques). Ils font la même chose, ils pensent la même chose ou ils sont (pensent-ils) les mêmes. Ce type d’association fait exister un lien très fort car il crée une cohésion de fait au travers d’une construction identitaire.

Ce type de cohésion se construit sur base de racines multiples qui doivent se construire avec le dedans et le dehors. Cela correspond au rapport à soi et à l’autre (qui suis-je ? qui suis-je par rapport à l’autre ?). Être clair sur son identité permet de mieux rencontrer l’autre car on ne le fait pas si on ne se sait pas différent de lui. La construction de la propre identité est donc indispensable dans un projet de cohésion sociale. Et une forme de vie associative indispensable est donc celle qui permet de se reconnaître comme faisant partie d’un groupe social (en apprendre les codes, les valeurs, les mœurs) afin de construire sa propre identité.

Malheureusement, ce type de cohésion peut mener à certaines dérives, territoriales par exemple (ce qui postule une adéquation entre vivre ici et vivre d’une certaine manière) ou liées à l’apprentissage d’une identité de type inégalitaire (avec des apprentissages qui affirment que notre identité vaut plus qu’une autre) qui peuvent amener des dérives sectaires voire extrémistes.

La construction de l’identité est une fonction très importante et pour laquelle le monde associatif joue un rôle majeur. Les mouvements et organisations de jeunesse, par exemple, inculquent une série de valeurs qui correspondent à des normes du bien vivre en société (au sens de comment écouter et respecter l’autre). Les personnes qui s’engagent ou engagent leurs enfants dans ce travail associatif le font dans une forme éducative utile et saine à la construction d’un individu capable de se débrouiller. L’associatif incite ainsi à la prise de responsabilité, on est co-responsable des autres dans l’association et on développe donc un tout autre rapport à l’autre que celui qu’on développe dans le cocon familial très protégé –protecteur- et hiérarchisé. Dans le monde associatif, il faut pouvoir prendre sa place. On apprend la co-responsabilité du groupe et la vie de groupe qui nécessitent, tous deux, de la négociation permanente, de l’écoute de l’autre, de la retraduction constante de ce que dit l’autre, de l’attention dans le choix des mots et des codes que l’on utilise pour communiquer. L’associatif permet une découverte de l’autre et une socialisation notamment par cet apprentissage de la co-responsabilité !

Une autre partie de l’associatif vise un objectif de transformation sociale. C’est ici que l’on peut parler d’une forme d’engagement commune à l’associatif et à l’action collective. Il y a, en effet, toute une série de mouvements et d’associations qui sont dits engagés (au sens politique du terme) car ils visent une transformation sociale, c’est-à-dire, une modification des structures et des règles de fonctionnement de la société. Cette transformation sociale ne peut se réaliser que par un passage méthodologique impératif qu’est le conflit. Certains envisagent la cohésion sociale comme le recherche et la création d’un « entre-nous confortable » (une pacification qui se fait par le confort d’être en nous). Alors que « construire un nous » c’est aller jusqu’à « faire conflit sur » ; car mes intérêts ne sont pas tes intérêts et nous serons toujours en conflit là dessus. Identifier ce conflit et pouvoir dire comment le traverser en sauvegardant nos identités respectives nécessite la construction d’un nous capable de vivre ensemble en énonçant de nouvelles règles et de nouveaux modes de vie. Il faut pouvoir se rencontrer conflictuellement pour récréer un nous capable de transformation sociale. L’action collective et la volonté de transformation sociale, passant impérativement par le conflit, obligent à dépasser le confort qu’offre la cohésion sociale, confort toutefois nécessaire car il permet une confiance nécessaire à la rencontre. Il faut en effet d’abord être en confiance, trouver ceux qui nous ressemblent et ce qui nous met en accord avant de se mettre en conflit et de travailler les désaccords.

Il y a, à cet égard, des associations plus conservatrices, poursuivant des objectifs de cohésion sociale, qui cherchent à éviter le conflit et qui préfèrent que chacun reste à sa place en reconnaissant des droits individuels (« j’ai le droit de » et « tu as le droit de »), ce qui correspond à ce que j’appelle « le piège de la cohésion sociale minimale ». La cohésion sociale est un socle minimum, un impératif ; elle est la condition nécessaire à la transformation sociale. Mais elle peut être un étouffoir si elle consiste uniquement à faire coexister les gens sans viser la construction d’une identité commune ou la recherche d’émancipation.

La cohésion sociale est donc un espace, une méthode, une condition nécessaire à l’action collective et à la transformation sociale, mais pas une condition suffisante ! La cohésion sociale doit mener à la construction d’un « nous » et la prise d’une place dans une société que nous voulons tranformer.

Le rôle des associations est donc d’abord celui de la transformation sociale ?

Il y a des évolutions dans la représentation de ce qu’est la vie sociale et de ce que sont les acteurs sociaux. Pendant tout un temps, les acteurs sociaux étaient en conflit autour du travail et du capital. Mais on se rend compte que l’associatif a ce rôle fondamental de permettre la construction de l’acteur social comme sujet autonome, c’est-à-dire un sujet qui se reconnaît comme sujet, qui est reconnu par l’autre et qui reconnaît l’autre à égalité, sujet qui est capable de penser par lui-même et d’apprendre par lui-même.

Quand différentes personnes dans une association se réunissent, échangent, débattent et développent une fonction d’apprentissage et d’auto-apprentissage, elles analysent ensemble leur présent et leur avenir et peuvent, dans ce cadre, se reconnaître victimes d’injustice (à différents degrés) ou solidaires de victimes. Elles vont alors se positionner (au delà de leur position de sujets autonomes, capables de penser, d’analyser, de reconnaître l’autre), partager avec d’autres et se construire comme acteurs sociaux avec d’autres, ensemble. Il y a ce « nous » qui est construit et qui peut donner lieu à une prise de conscience du type « nous sommes acteurs et nous voulons jouer un rôle, ensemble ; nous voulons peser et donc il faut que nous nous mettions en association ».

On dépasse donc la cohésion sociale en étant entre des individus qui se construisent comme sujets, comme acteurs, c’est-à-dire que développent notre capacité à peser sur la transformation de la société. C’est là une fonction très importante de ce que Habermas appelait la société civile, c’est-à-dire toutes sortes de lieux porteurs de valeurs et de débats au sein de la société.

Mais l’associatif, par sa force de structuration et l’exigence qui en est faite aujourd’hui, fait que si nous voulons que ces apprentissages soient bien menés, qu’on affecte les moyens aux bons endroits, et que l’apprentissage soit bien structuré, alors il faut se professionnaliser. Ce qui ne veut pas dire qu’on va contractuellement engager des gens, mais plutôt qu’on va imposer une compétence de type professionnel aux personnes qui s’occupent de l’association, dont les bénévoles, qu’il va dès lors falloir former.

Et cette transformation sociale, sur quoi porte-t-elle aujourd’hui ?

Je dirais qu’elle porte souvent sur la qualité de vie (dans les comités de quartier pour améliorer et embellir l’espace quotidien, l’amélioration de l’équilibre entre la vie professionnelle et privée, la réflexion sur le temps de travail). Sur l’environnement aussi : avoir un environnement de qualité, jardinage bio, jardins collectifs, fabriquer ses panneaux solaires soi-même, clubs de cyclistes. Et sur la participation (à la vie culturelle et sociale, souci d’avoir son mot à dire).

Ce sont trois ressorts, de plus en plus fréquents, de l’activation vers une transformation sociale. En sont la preuve le nombre d’associations actives dans ces domaines. Beaucoup d’associations nouvelles ou émergeantes mettent l’accent sur ces thématiques. La dimension internationale s’y retrouve plus que jamais : participation (de tous), l’environnement (global) et la qualité de vie (celle d’ici doit respecter celle de là-bas).

La professionnalisation est-elle la conséquence d’une reconnaissance et d’une volonté de soutenir de l’associatif de la part de l’Etat ou de la volonté de l’Etat de se défaire de certaines missions qu’il devrait assumer ?

Les deux aspects existent en parallèle. Plus l’Etat se désengage (notamment à cause d’une pression de l’économie mondiale qui incite à déresponsabiliser l’Etat et à faire porter la responsabilité aux individus), et plus il va mettre en place des procédures et des structures d’alerte pour dire « prenez-vous en charge vous-même, organisez-vous ». Je l’analyse plus comme un déplacement ou une désaffection de certaines fonctions de l’Etat.

Par exemple, pour nettoyer les rivières polluées et leurs abords, les pouvoirs communaux et régionaux font appel aux scouts ; pour nettoyer les plages pleines de mazout, on sollicite l’armée pour distribuer des pelles et on offre des réductions sur les tickets de train à ceux qui iront évacuer le mazout sur ces plages. Avant, c’était l‘Etat qui était responsable et qui prenait en charge ce genre d’action. Aujourd’hui ce sont les citoyens qui sont sollicités pour le faire. Les libéraux positifs diront « c’est bien, que voyez-vous de mal à cela ? C’est bien de responsabiliser les gens ! ». Il est intéressant de responsabiliser les gens mais le danger est de faire croire aux gens que parce qu’ils sont sensibilisés à ne pas jeter leur papier de caramel dans l’eau, ils participent réellement à une dépollution généralisée. Le problème n’est pas tant d’éduquer le gamin à ne pas jeter son papier de caramel dans l’eau que comment le produit-on ? Question qui dépasse de loin le cadre strict du consommateur.

L’associatif, à ce titre, remplit trois fonctions intéressantes, deux traditionnelles et une plus nouvelle : Une fonction de sensibilisation et d’éducation du citoyen, amenant le citoyen à être conscient de ses responsabilités (j’ai une responsabilité en tant que consommateur). Une fonction d’interpellation politique, rôle de plus en plus porté par l’associatif (par défaut, mais aussi par souci de participation, ce qui nous renvoie à ce que nous disions au début sur l’associatif comme lieu d’apprentissage de la participation et de la responsabilité et comme lieu d’apprentissage de ce qu’est le pouvoir). L’associatif permet un réel apprentissage de la participation, des responsabilités et du pouvoir que le politique ne permet plus car on n’y a plus le temps d’apprendre puisqu’il faut être efficace tout de suite.

Et une fonction de formation, qui correspond à un grand enjeu et un grand changement de l’associatif par rapport au passé. Être animateur dans le monde associatif devient aujourd’hui plus difficile. L’Etat se rend compte de la nécessité de soutenir les associations parce qu’il remplit des fonctions de l’Etat mais aussi parce qu’il est porteur d’emplois. Puisque l’Etat met en charge et en responsabilité l’associatif pour des matières relatives à l’éducation, l’interpellation, il doit par conséquent mettre les moyens nécessaires ainsi que des contraintes et dispositifs de contrôle pour réguler tout cela.

Les animateurs associatifs se retrouvent de plus en plus confrontés à une pression due à cette professionalisation qui exige d’eux plus de qualité et de rigueur dans le travail, tout en devant collaborer avec des personnes qui veulent adhérer à l’association mais avec un souci de participation immense. Avant, être animateur c’était être le chef, donc c’était relativement simple. Mais depuis la professionnalisation du monde associatif, les exigences par rapport aux animateurs sont devenues plus pointues : il leur est exigé d’avoir des connaissances et des compétences spécifiques. Il est exigé une plus grande technicité. Et cette exigence de compétences et de savoirs technique ou méthodologique fait, qu’il ne suffit plus d’avoir fait des études et d’être un bon animateur parce que les participants aux formations n’attendent pas qu’un guide leur montre le chemin ni leur dise de suivre l’avis d’une expertise.

Il faut donc permettre aux gens eux-mêmes de devenir des experts et d’être maître de leurs apprentissages. Donc, former des professionnels dans le domaine associatif est, aujourd’hui, un nouveau défi puisqu’il s’agit de former des gens à être formateur. Il faut être capable de permettre aux gens de vivre des expériences et d‘effectuer, au travers ces expériences, un apprentissage par le conflit et la confrontation avec d’autres dont ils tireront des enseignements pour construire des valeurs, un « nous » et une identité renouvelée, et de nouveaux savoirs collectifs. L’animateur ne doit donc plus être qu’un meneur, technicien ou expert mais doit permettre l’expérimentation et amèner les gens à cheminer dans cette expérimentation. C’est un nouveau métier et un nouveau défi pour l’associatif, tant pour les professionnels que pour les bénévoles.

Le tissu associatif belge est, malgré tout, assez fort. Comment expliquer cela ?

Une des explications (car il y en a beaucoup) est provient d’une forte tradition en Belgique, celle de la concertation sociale. Depuis la fin de la Guerre s’est érigé le système de la sécurité sociale au sein duquel la concertation sociale prime. En Belgique, par exemple, le passage au 35h pourrait être décidé de commun accord entre les représentants des travailleurs et les représentants des patrons. À la différence de la France où on imagine mal que cela puisse se faire autrement que par une injonction de l’Etat. Les structures issues de la concertation sociale q en Belgique, très actives par rapport à la sécurité sociale, ont progressivement déteint sur la culture (l’éducation permanente, les centres culturels, les bibliothèques, les arts de la scène). Au point qu’aujourd’hui il est obligatoire de faire passer toute modification du décret devant un conseil consultatif composé des différents représentants du secteur. Les associations ont un rôle à jouer en Belgique ! D’autres outils de concertation sociale ont été développés au sein des écoles (obligation d’avoir des conseils de participation) ; dans les homes et les maisons de repos (obligation d’avoir des conseils de résidents), dans les communes avec les comités de quartier. Les associations sont des intermédiaires permanents entre le pouvoir et le citoyen. Et le citoyen est, par ailleurs, bien souvent mieux défendu par des structures intermédiaires du monde associatif que par l’Etat lui-même. Puisque la vie associative en Belgique a un rôle réel (et non pas accessoire) à jouer, elle y est plus florissante !

A côté de cela, il doit y avoir d’autres explications, notamment l’histoire des mouvements de jeunesse et du scoutisme. Aussi, une autre explication est que nous sommes dans un pays qui fonctionne sur la particratie. Je défends personnellement la particratie comme idée car elle permet de se rattacher à des partis politiques organisés sur une base associative : le parti politique est une association volontaire de personnes qui s’associent et débattent pour décider ensemble d’un programme politique.

C’est pourquoi je pense que c’est tuer l’associatif que de vouloir l’éléction directe des gens. À la différence d’une personne qui est élue à titre individuel, celui qui est mandaté par son parti est tenu de rendre compte au parti et à ses membres en plus de devoir rendre des comptes aux citoyens. Nous avons donc une logique associative y compris dans notre organsiation politique. Enormément de partis politiques ont d’ailleurs eux-mêmes créé toute une série d’ associations.

A cela s’ajoute la capacité grégaire de tout groupe humain à s’associer. Tout cela fait que la vitalité associative et notamment les associations de type éducatif et d’éducation permanente est probablement plus grande que dans d’autres pays.

Le sociologue français Christian Morel, quand il vient en Belgique, s’étonne souvent de la richesse et de la vitalité du tissu associatif belge ainsi que de l’usage du mot « lutte » qui y est fait alors qu’il se perd ailleurs. Morel souligne par exemple le fait que quand on se réunit en Belgique, très vite se formulent des exigences, des revendications, des luttes. Une réunion avec des représentants de l’éducation permanente fait salle comble, la ministre est présente, qui connaît tout le monde et tout le monde le connaît. Tout le monde a le droit à la parole et possède une capacité d’interpellation forte.

L’éducation permanente est sans doute le résultat d’un mouvement syndical assez fort en Belgique par rapport à d’autres pays, car l’education permanente et l’éducation populaire sont en grande partie issues des luttes populaires dans le monde du travail. Plus le monde du travail est organisé de manière forte, plus les méthodologies d’action qui vont de paire, comme l’éducation permanente, sont amenées à être pérennisées.

Et quels sont, dans ce contexte, les évolutions et les défis de demain pour les associations en Belgique ?

Je signalerais deux : Être attentif à ces trois piliers de l’engagement en association (valeurs, reconnaissance et apprentissage) mais aussi essayer de les dépasser dans leur combinaison. L’avenir reste inconnu aujourd’hui et très incertain si ce n’est qu’il sera ce que nous en faisons est sur base de ce que nous contruisons aujourd’hui. Cet apprentissage de construction de nouvelles valeurs, de nouveaux savoirs et de nouvelles identités communes que permet l’associatif est donc fondamental car il amène à tout un chacun à être acteur dans la construction d’un avenir collectif.

Sur le plan des transformations sociales, le monde associatif s’est construit, au début du siècle, dans une volonté de transformation pour plus de justice et d’égalité sociale. L’évolution de la société a améné ensuite, dans de nombreuses associations, la recherche d’une qualité de vie (davantage qu’un niveau de vie). Aujourd’hui, nous sommes dans une troisième phase où l’on se rend compte qu‘il est indispensable de réassocier les deux, c’est-à-dire de contruire une égalité par rapport au niveau de vie mais aussi par rapport à la qualité de vie.