L’internet associatif

Mise en ligne: 21 septembre 2011

Une association qui fonctionne bien fonctionnera bien sur internet aussi. Propos de Xavier Polfliet recueillis par Vanessa Stappers

Xavier Polfliet, vous travaillez au sein de Cassiopea à l’appui à l’internet associatif. Quel impact ont les nouvelles technologies sur les associations ?

La puissance d’internet, c’est qu’on peut parler de tout à tous. Avec la démocratisation et l’appropriation d’outils d’internet tout le monde peut s’exprimer vers tout le monde. Il n’y a plus de monopole du discours, tout le monde peut produire du discours. On peut s’en inquiéter mais la liberté d’expression n’a de sens que si tout le monde peut s’exprimer. A ce titre, les nouvelles technologies peuvent renforcer la participation des citoyens à différents niveaux.

Mais de nouveaux enjeux liés à la mobilité apparaissent, des enjeux liés à la possibilité de ne plus être figé à un endroit, tout seul derrière son ordinateur ; on peut maintenant emporter des outils d’accès au réseau dans sa poche). Cette évolution technologique entraine une mutation des comportements qui nous pose question : en quoi la mobilité favorise-t-elle la communication et la participation ? Actuellement, il nous semble que ce sont surtout les techniques de type markating qui évoluent autour de ces outils là.

Ces nouveaux modes de communication et de participation viennent-ils renforcer le tissu associatif existant, ou, au contraire, viennent-ils le déforcer en se substituant à lui ?

J’ai la conviction que les personnes qui soutiennent le logiciel libre partagent suffisamment de valeurs que pour se renforcer les uns les autres. Cela nous renvoie à la question de la fin et des moyens. Un de nos objectifs est de permettre aux associations de faire coïncider leurs fins et leurs moyens.

On ne vient pas avec des solutions miracles. On va d’abord dire « Si vous avez des modes de participation et de mobilisation qui fonctionnent (c’est-à-dire si vous êtes une association performante), ça peut fonctionner sur internet aussi », l’enjeu sera alors de s’approprier les outils adaptés à chaque action. Par exemple, les révolutions arabes n’auraient pas pu exister sans réseaux sociaux et une structuration de l’action à la base. Mais si la structuration de l’action n’existe pas avant, internet ne facilitera pas son émergence. Ce n’est pas parce qu’on crée un groupe d’intérêt sur Facebook qu’on va avoir des donateurs ou de bénévoles.

Un bon outil internet aide aussi parfois à clarifier le fonctionnement d’une association, comme les processus de décisions ou de communication (qui fait circuler l’information). C’est parfois salvateur pour certaines associations de travailler leur communication parce que ça les oblige à se poser des questions dans la vraie vie sur comment fonctionne-t-on en fait.

Vouloir développer la participation par internet exige d’abord une réflexion sur la participation en général (ses objectifs, ses modalités) et amène plein de questions sur les dynamiques de groupe où la technique est une excuse (très bonne excuse d’ailleurs car elle permet parfois d’aborder des questions très difficiles) : Qu’est-ce qu’on veut mettre en place ? Qu’est-ce qu’on veut dire, à qui et comment ? Veut-on vraiment avoir un retour ? Sommes-nous prêts à recevoir n’importe quel commentaire ? Qui pourra les voir ? Comment procèdera-t-on à la modération ? Qui a le droit de publier ? Au final, voulons-nous vraiment un processus de décision collectif ou préfèrons-nous désigner quelqu’un qui a un droit de véto ou quelqu’un qui entérine les décisions ?

C’est d’ailleurs pourquoi l’un des slogans de Cassiopea, c’est « joindre les réseaux virtuels aux réseaux réels » non pas parce que ces deux réseaux sont dissociés mais plutôt pour permettre à un réseau qui existe déjà d’exister virtuellement également. L’appropriation est donc encore plus fondamentale dans ce cas-là. Comprendre comment marche l’outil permet de comprendre comment fonctionne le processus de décision.

On ne vient pas juste dans une attitude d’expert. Ce qui est important, c’est de questionner nos membres dans chacune de nos collaborations : Qu’est-ce qui important pour vous par rapport à vos enjeux actuels et qu’est-ce que vous allez pouvoir retirer d’internet ? Par exemple : est-ce pertinent qu’ITECO soit sur Facebook ou pas ? Doit-on avoir une existence sur Facebook pour exister sur internet ? Il y a un regard technique de notre part mais aussi un regard sur le mode de collaboration qu’on a envie de soutenir et des valeurs qu’on veut défendre derrière.

Un des intérêts des technologies du web est de créer du lien entre les gens. Cette motivation de base chez Cassiopea, se retrouve chez tous nos membres. Beaucoup d’entre eux mènent des activités artistiques, culturelles, écologiques, etc, qui, in fine, ont souvent un lien avec cette volonté de créer et recréer du lien social entre les gens, convaincus que la société y gagne et que tout le monde y gagne en fait ! Il s’agit vraiment de garder l’outil comme outil, qu’il reste un moyen et ne devienne pas une fin en soi.

On aimerait pouvoir proposer, à terme, un système de réseaux sociaux parce qu’on trouve que c’est pertinent et basé sur des logiques décentralisées (c’est-à-dire qui ne passe pas par un serveur). Il s’agirait alors d’une diffusion d’égal à égal et non pas d’un minitel ou d’un Facebook. A la base, Cassiopea s’adressait aux associations mais je pense que notre prochaine mutation, celle qui est occupée à se faire, sera celle d’évoluer vers des services aux particuliers.

Comment facilitez-vous l’appropriation et la participation par rapport à la fracture numérique ?

Nous sommes dans une dynamique de transmission en interne. Nous ressentons déjà le problème d’appropriation auprès des associations membres, associations qui travaillent elles-mêmes avec des publics parfois plus éloignés encore des nouvelles technologies. Nous sommes par conséquent, dans un mode de transmission de type pyramidal qui consiste à permettre aux associations de s’approprier des outils de communication et de participation qu’elles pourront ensuite transmettre auprès de leur propre public.

Quels sont les avantages et inconvénients qu’offre le logiciel libre ?

Cela dépend des logiciels que l’on emploie. La robustesse des logiciels libres se fait dans le temps, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait une communauté derrière qui y mette de l’énergie. Ce qui est aussi une garantie en termes de valeurs car en général, la communauté ne met de l’énergie que tant que les valeurs sont là. Une fois que les détenteurs qui ont lancé le logiciel essayent de le refermer, de restreindre ses libertés, la communauté s’en va et le logiciel s’écrase. C’est vraiment au cas par cas.

Cela vaut peut-être la peine de préciser la différence entre deux concepts qui sont fortement liés : l’opensource et le logiciel libre. L’opensource met en avant les valeurs d’efficacité et de rentabilité. C’est pertinent d’ouvrir les sources d’un logiciel et de les partager car c’est beaucoup plus rentable pour l’intégrité des acteurs économiques et beaucoup plus efficace que si chacun doit développer sa propre solution.

Le logiciel libre est opensource mais implique d’autres libertés, notamment la liberté de redistribuer, il vise donc la réappropriation. Stallman définit, à ce titre, les valeurs fondatrices du logiciel libre comme celles de « liberté, égalité, fraternité ». Le logiciel libre contient l’opensource mais tout l’opensource ne contient pas le logiciel libre. C’est- à-dire qu’on peut avoir des sociétés comme Google qui font beaucoup d’opensource mais qui ne sont pas dans la dynamique du logiciel libre.

C’est amusant de constater qu’on va parler de logiciel libre ou d’opensource en fonction des terrains d’intervention. Imaginons que je sois développeur de logiciel informatique m’inscrivant dans la mouvance du logiciel libre et que j’aille soumettre mon projet à une entreprise privée ; j’aurais, dans ce cas, plutôt tendance à mettre en avant les valeurs économiques d’efficacité et de rentabilité de l’opensource que les valeurs humanistes qui sont derrière le logiciel libre.

Les logiciels libres sont-ils de plus en plus utilisés ?

L’opensource est un bon cheval de bataille. Cela marche bien. Il y a beaucoup de logiciels qui sont produits. Et il y a beaucoup d’utilisateurs qui font ce choix aussi. Par exemple, le vote électronique ne pourrait pas fonctionner autrement qu’à partir d’un logiciel opensource qui lui seul garantit une réelle transparence et une réelle crédibilité. En termes de crédibilité et de transparence, l’opensource a en effet beaucoup de choses à apporter.

Il y a de gros enjeux actuellement, notamment en termes de mobilité. Avec tous les avatars de la mobilité (les téléphones, les tablettes), on constate qu’il y a plutôt une tendance à tout fermer et à tout cadenasser. Les téléphones sont actuellement plus puissants que ce qui a servi à envoyer l’homme sur la lune ; ce sont des machines de calcul très puissantes mais avec lesquelles on ne peut faire que deux ou trois choses déterminées par une équipe de marketing et des spécialistes de la communication.

On nous enferme dans certains usages. Pour le moment, vous devez passer par de stores liés à la tablette et qui vous empêchent d’accéder à toute une série d’éléments qui existent déjà en ligne ; c’est une manière d’enfermer l’utilisateur. Et les solutions opensource pour la téléphonie mobile, pour les tablettes et autres, ne sont pas encore privilégiées par les fabricants. Un des enjeux du logiciel libre, est de rester conscients des enjeux de la mobilité et amener des solutions. Si on ne se positionne pas sur ce terrain là, il risque d’être envahi par des propositions de marketing fermées.

Derrière tout cela, il y a beaucoup de perspectives démocratiques mais aussi des enjeux économiques liés à « l’économie de la connaissance ». Le logiciel libre peut permettre de trouver facilement de l’information pour pouvoir construire un système de connaissances, de type « bien commun », qui appartienne à tout le monde, et qui ne puisse pas être fermé à certains usages. Il faut que tout le monde puisse avoir accès à ces nouvelles technologies.

On doit pouvoir offrir des solutions car je pense que Facebook et Google n’ont pas forcément la même éthique que nous. Ils peuvent censurer des contenus à la demande pour des intérêts économiques car ce sont des entreprises. Et si leurs intérêts économiques rentrent en contradiction avec la liberté d’expression, ils feront certainement leur choix. Dans le cas de Google c’est un peu particulier car leur image de marque tient aussi à cette liberté d’expression, mais une censure reste possible.

Une des volontés du logiciel libre est que tout le monde devienne compétent. Si je vous transmets une connaissance, je garde ma connaissance et en plus elle est enrichie de la transmission. Le logiciel libre est actuellement lié au secteur de l’économie de la connaissance ; c’est difficile de l’appliquer à d’autres secteurs. On ne gère pas de la même manière l’économie de la connaissance et du logiciel libre celle de l’économie des pommes. Pour vous donner un exemple, j’ai entendu qu’une bière opensource avait été créée il n’y a pas longtemps. Je trouve l’idée sympathique, c’est folklorique, mais ce qui est opensource, c’est la recette, autrement dit la connaissance ; ce n’est pas la bière en elle-même. La bière elle est vendue, c’est un produit de fabrication. Cela garantit juste le fait que vous puissiez la faire vous-même.

Le combat du logiciel libre, car je crois qu’on est dans un rapport de force, il n’existe que parce qu’à un moment donné il y a eu des dérives en termes de propriété intellectuelle. La notion de propriété intellectuelle est récente dans l’histoire de l’humanité. Il y a d’ailleurs pleins de cas dans lesquels la question de la propriété intellectuelle ne s’applique pas. La Constitution, par exemple, est le résultat d’une agglomération d’idées et de lois qui exitaient déjà ailleurs.

C’est assez récent de dire que cette idée là, ce comportement là, je vais le posséder, et ceux qui veulent aussi en posséder la connaissance doivent me payer. La question de la propriété de la connaissance est également très spécifique car la connaissance n’est pas épuisable. Il y a eu beaucoup de débats sur la question de la déchéance des biens collectifs : lorsqu’on possède des biens qui sont finis et qu’on doit les gérer collectivement, on a du mal. On se rend compte qu’il y a des écueils dans lesquels il ne faut pas tomber. Mais pour la connaissance, ce n’est pas pareil ! La connaissance peut être dévoyée, mais on ne perd pas une connaissance quand on la transmet. Et c’est ce qui amène au brevetage des concepts dans le domaine informatique car tout peut être facilement dupliqué à l’infini… Imaginez que quelqu’un aurait breveté la roue ou la démocratie, on n’en aurait sans doute jamais profité et on ne serait pas là où nous sommes aujourd’hui !

Existe-t-il d’autres associations comme Cassiopea en Belgique, en Europe et à travers le monde ? Quel genre de collaboration menez-vous ?

À Bruxelles, il existe trois ou quatre associations assez similaires fonctionnant comme des collectifs, ne se positionnant pas de la même manière sur tout mais partageant des valeurs communes. Nous sommes en contact avec d’autres associations et des personnes en France, au Canada, et d’une manière plus générale en francophonie par rapport à nos enjeux associatifs mais aussi par rapport à des enjeux techniques beaucoup plus larges. On peut dire que nous faisons partie d’une communauté dans le sens où nous fonctionnons sur des règles communément acceptées, et cela, dans un but commun. Il y a une communauté du logiciel libre. Sur certains logiciels, on travaille parfois de concert avec des gens qu’on n’a jamais vus.

Pour nous, il est très intéressant de rencontrer d’autres associations pour se confronter à d’autres modèles économiques et d’autres modèles de fonctionnement. Le web se prête bien à ce genre d’expérience car il demande surtout un capital humain. On n’a pas besoin d’une grande chaîne de production ni de beaucoup de moyens de base, on a surtout besoin de moyens humains, de compétences ; ce qui remet l’humain au centre.

S’il a des moyens humains, les choses se font, ce qui reste fondamnetal pour pouvoir expérimenter des modèles économiques. Actuellement, nous fonctionnons d’ailleurs sans subventions, en toute indépendance. Toutefois, en France, beaucoup d’associations en sont arrivées à la conclusion qu’il était impossible de fonctionner sans subventions et donc beaucoup d’entre elles fonctionnent aujourd’hui par le biais de subventions.

Ce qui amène une question de fond : le logiciel libre est-il ou doit-il être un bien commun ? Si on postule qu’il l’est, alors c’est au pouvoir public à le développer et à le financer. Cassiopea revendique l’idée du logiciel libre comme bien commun mais ne le revendique toutefois pas clairement auprès du pouvoir public car nous ne sommes pas convaincus que les politiciens trouvent cela pertinent et nous préférons garder notre indépendance par rapport au pouvoir public. L’indépendance est aussi une manière pour nous de garantir le bien commun et d’éviter qu’il soit réapproprié par une minorité à leur profit. Maintenant, je pense que le logiciel libre n’est pas le seul problème par rapport à lutte pour le bien commun, l’eau, l’accès à la santé et la culture sont des enjeux sans doute plus vital aujourd’hui. Donc joignons-nous aux revendications existantes, luttant pour le bien commun et contre la privatisation.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le réseau Cassiopea ?

Cassiopea est un réseau d’associations qui ont fait le choix, il y a une dizaine d’années, de mutualiser leur offre d’hébergement internet à un moment où l’enjeu était d’avoir accès à l’internet comme moyen d’expression face aux nombreuses barrières techniques et financières de l’époque. Cassiopea était alors mené par une dizaine d’associations et des techniciens qui offraient un service d’hébergement avec une dimension associative importante. Petit à petit le réseau s’est renforcé et Cassiopea a commencé à ressentir le besoin de pouvoir proposer des services tels que des outils de collaboration en ligne.

Actuellement, Cassiopea développe trois axes de travail qui se soutiennent et se renforcent mutuellement : l’hébergement, les projets de réalisation d’outils de communication et la dimension associative qui est la légitimation et le ciment des deux autres. Cette dimension associative lie tous les bénéficiaires. La charte de Cassiopea, à laquelle les associations doivent adhérer pour être membres du réseau et pouvoir bénéficier de ses services, spécifie que Casssiopea s’adresse au milieu associatif et plus spécifiquement aux personnes qui travaillent sur la citoyenneté, l’environnement, le développement, l’art, la culture.

La charte engage ceux qui la signent à promouvoir les valeurs fondatrices de Cassiopea, à savoir des valeurs de solidarité et d’accès pour tous et à ne pas mettre en péril l’hébergement des autres. Au fond, c’est une collaboration de bonne intelligence qui permet à chacun de se renforcer dans son travail et sa dimension associative : les membres sont invités à adhèrer aux valeurs de Cassiopea et Cassiopea soutient de facto les valeurs défendues par les associations membres dans les limites de notre règlement d’ordre intérieur.

Les membres de Cassiopea sont donc en grande partie des associations, quelques ONG, certains pouvoirs publics, centres d’aide sociale, centres culturels et des associations de fait, comme des collectifs d’habitants. Ce sont des membres très hétéroclites d’un certain point de vue mais qui partagent tous des valeurs communes (solidarité, liberté, etc). En 2001, il y avait une dizaine d’associations et aujourd’hui Cassiopéa réunit quatre-vingt membres environ. Même si l’hébergement associatif reste assez marginal, Cassiopea reste très petit par rapport à d’autres hébergeurs associatifs.

L’intérêt d’adhérer à Cassiopea réside dans la copropriété des serveurs et dans l’adhésion à un réseau. C’est-à-dire qu’on mutualise le dispositif technique mais aussi, plus largement, le réseau humain. Moi, je suis arrivé chez Cassiopea par le biais d’une association qui s’hébergeait chez Cassiopea. Ça faisait cinq ans que je fréquentais Cassiopea à travers différentes structures avant de m’y impliquer davantage en tant que travailleur.

In fine, le réseau est principalement constitué de personnes qui viennent de l’associatif et qui ont appris l’informatique, qui s’y sont mis. Une richesse de Cassiopea est d’ailleurs l’hétérogénéité des profils que l’on retrouve au sein de l’équipe : sociologues, géographes, travailleurs sociaux, animateurs socio-culturels. Nous venons tous de milieux différents mais partageons un intérêt particulier pour la question du logiciel libre et des enjeux qui y sont rattachés. Il n’y a que trois informaticiens diplômés au sein de l’équipe technique qui représente huit personnes ; les cinq autres ont appris par le biais de Cassiopéa et se sont formés sur le tas.

Il n’y a pas d’employé chez Cassiopea. Cassiopea avait dans un premier temps adopté une structuration de son activité de manière assez classique (employés, bureaux). Force a été de constater que ce modèle économique n’était pas adapté à notre réalité, nous avons donc dû nous réorganiser et faire preuve de créativité. Nous avons alors essayé de permettre à Cassiopea de muter vers un système qui fonctionne essentiellement sur le bénévolat et le travail à la prestation. À l’heure actuelle, la plupart des gens qui travaillent chez Cassiopea travaillent en effet par contrat de prestation. On trouve des contrats et chacun s’arrange pour éventuellement combiner cela avec d’autres activités.

Il y a très peu de choses vitales à l’association qui sont faites de manière bénévole. La partie bénévole correspond à toute la dimension associative, comme par exemple cette interview aujourd’hui. Il arrive aussi, mais c’est au cas par cas, que l’on investisse sur des projets particuliers de façon bénévole parce qu’on aime bien le projet. A l’inverse de nombreuses associations qui laissent aux bénévoles le travail le moins intéressant, Cassiopea cherche à valoriser les bénévoles (et l’implication bénévole) en leur permettant de s’investir dans ce qui leur plait et rémunère en priorité le travail le moins agréable à faire ou le moins valorisant.

On est en recherche permanente d’un modèle économique viable pour ce qu’on fait. Ce qui amène des questions d’échelle et des questions liées à une croissance souhaitable ou pas de l’association, nécessaire ou pas nécessaire… Cela amène beaucoup de débats en interne et nous invite constamment à nous poser des questions.

Au moment où les champions de la communication se sont emparés du web comme étant un marché assez juteux avec de lourdes conséquences notamment sur le prix de l’hébergement et le prix même d’un simple conseil, Cassiopea est née non pas pour permettre aux entreprises d’être plus concurrentielles mais bien pour permettre aux associations d’exister ! Car en général les associations ont un budget qui n’est pas fonction du travail qu’elles font mais qui est fonction de l’importance que le politique leur donne ; et ce ne sont pas toujours les plus pertinents qui ont le plus de moyens.

Concrètement, on travaille tous au même tarif, peu importe ce que l’on fait et qui le fait. Que ce soit un ingénieur en réseau informatique qui va faire de l’administration au système ou quelqu’un qui va donner une formation, on travaille à un tarif qui permet que notre travail soit accessible à tous en essayant justement de ne pas suivre cette tendance à la montée des prix.

Beaucoup de structures qui s’adressent à nous, ont déjà eu une expérience préalable du web avec des sociétés commerciales et reviennent vers nous notamment pour des questions de pérennité et de solidité. A l’inverse de la consommation qui s’appuie sur l’obsolescence, Cassiopea promeut la pérennité. Beaucoup de membres d’ailleurs ont le même outil de publication depuis huit ans mais qui évolue selon les besoins.

Fonctionnez-vous donc comme un collectif ?

On peut parler de collectif autogéré où on expérimente des processus de démocratie à notre niveau. Concrètement, toute personne qui s’implique dans Cassiopea est invitée à participer au conseil d’administration. Lequel statue généralement au consensus. Notre structure vise une efficacité (il y a des gens qui sont clairement désignés pour assumer certains rôles et des budgets qui y sont associés pour permettre à l’outil de marcher) mais au-delà de cela, la plupart des décisions politiques sont prises par consensus.

Ce genre de processus participatif très horizontal donne souvent plus de poids à ceux qui font et qui proposent des choses et amène une dynamique intéressante où on propose et on s’implique dans ce qu’on a envie de faire… ce qui engendre plein de débats !

Pouvez-vous nous en dire un peu plus à propos des membres de Cassiopea ?

Cassiopea a eu un développement par réseau. Beaucoup de membres sont arrivés chez Cassiopea par le bouche-à-oreille, ravis d’avoir trouvé une solution informatique qui adhère à leurs valeurs, mais d’autres par contre sont arrivés sur base d’exigences liées à l’opensource, qui sont des exigences d’efficacité et de rentabilité de type « pourquoi aller payer l’intégralité d’un développement d’un outil de communication alors qu’on peut bénéficier de ce que la communauté a déjà fait ? ».

On observe ainsi une tension entre les membres et les clients. Certains aimeraient bien qu’on les traite comme des clients (et pouvoir consommer du service simplement) alors que notre objectif à nous est qu’ils s’intéressent aux enjeux de valeur qu’il y a dans le logiciel libre et qu’ils deviennent membres de Cassiopea pour participer au débat. Le travail de Cassiopea est donc un travail de vulgarisation et d’appropriation auprès de ses nouveaux membres.

Je pense par ailleurs que l’attitude consommatrice de certains membres n’est pas liée à la question informatique mais plutôt à un problème actuel de nos sociétés. La nourriture et l’accès à la nourriture sont touchés par le même problème. Nous sommes dans une dynamique de consommation et pas de répartition ; ce n’est pas « chacun selon ses besoins » mais bien « chacun selon ses moyens ». Et donc on se retrouve avec d’une part les Etats-Unis qui dépensent des milliards de dollars pour évacuer leurs surplus et d’autre part, en même temps, des famines dans la corne d’Afrique.