Les associations sont l’espace destiné à contenir et à permettre l’action collective issue de la base sociale. Et si elles ne le permettent pas, il faudrait les réinventer, par Antonio de la Fuente
Scènes de la vie associative. Un groupe en formation, des jeunes adultes pour la plupart, se rend à une exposition sur les associations en Belgique. Cinquante-deux portraits de volontaires se dressent devant nous. La présentation est sommaire, chaque profil tient en quelques phrases, ce sont des membres d’une commission consultative communale, des visiteurs de détenus, des chauffeurs de taxi social, des militants de la solidarité internationale.
La diversité associative a un visage pluriel. Le groupe de visiteurs raconte ensuite leurs propres expériences en la matière, quelques réussites à petite échelle, quelques essais non concluants aussi.
On entend dire qu’en matière d’engagement associatif l’humanitaire et l’environnement ont la cote auprès des jeunes. Encore que humanitaire et environnement sont des mots valises, des catégories omnibus, tout autant qu’altermondialisme ou développement.
On entend dire aussi que la façon d’adhérer aux ONG n’est pas facile à saisir, que les modes de décision internes à celles-ci sont souvent opaques. Que ce serait un terrain difficile d’accès pour les non-initiés. Dommage, d’autant plus que les associations sont tout autant d’espaces pour l’exercice du bénévolat et des sources de travail rémunéré.
Le sens du travail proposé par ITECO est justement de s’interroger sur nos motivations personnelles comme préalable à un engagement mais aussi de connaître les contextes, de chercher des partenaires et surtout d’agir ensuite. Et puisque les associations sont le cadre institutionnel destiné à contenir et à permettre l’action collective issue de la base sociale, si elles ne le permettent pas, il faudrait les secouer, les renouveler, les réinventer. C’est le sens de cette édition d’Antipodes.
La tentation de traduire association par réseau social existe à présent. Surtout après avoir vu le rôle joué par les réseaux sociaux lors du printemps arabe. Que les réseaux sociaux façonnent la cohésion sociale, on pouvait s’y attendre. Mais qu’ils promeuvent la transformation sociale, c’était moins attendu. Et pourtant, l’action sociale c’est bien l’affaire des groupes actifs et agissants.
L’anthropologue londonien Daniel Miller a voulu regarder de près l’ampleur prise par le réseau social Facebook. Pour ce faire, il est parti étudier une communauté non dans une grande ville occidentale mais bien sur l’île de Trinidad, aux Caraïbes. Sur une île caribéenne, en principe, les liens communautaires devraient être forts et, par conséquent, l’enracinement d’un réseau social digital devrait être moindre.
Or, il n’en est rien. La plus forte croissance de Facebook a lieu aujourd’hui dans des pays comme la Turquie et l’Indonésie, au sein desquels les liens communautaires traditionnels sont forts. Dans son livre Tales from Facebook, Miller explique que les personnes vont sur Facebook pour s’abstraire de l’intensité de ces relations avec les parents et amis au village. Et qu’ils y vont aussi pour avoir des rapports sociaux intenses là où les relations sociales sont insuffisantes. Facebook sert donc tout autant pour rechercher plus de communauté que pour trouver moins de communauté, ou autre type de communauté. Ainsi, il n’y a rien d’étonnant à ce que cela marche.
Le réseau social (le concept n’est pas nouveau, car l’individu a été de tout temps le point d’accroche d’une multiplicité de réseaux sociaux) se profile donc comme une spectaculaire inversion de la tendance au déclin de la communauté. Même si Facebook est remplacé par autre chose, il reste une certitude, affirme Miller : les sites de réseaux sociaux auront un impact radical sur nos vies.
Maintenant, remplacez, si vous le voulez bien, le mot Facebook par le mot association et relisez. Vous verrez, le propos tient parfaitement debout.
Aussi, vu que l’engagement aujourd’hui porte davantage sur des projets que sur des programmes ou sur des plans d’ensemble, d’après le sociologue français Jacques Ion, ce que certains ont poussé à l’extrême en disant que nous sommes à l’heure des « engagements post-it »plutôt qu’à l’adhésion à des plans quinquennaux. La vie des associations futures risque d’être ainsi plus brève mais peut-être plus mouvementée, dans tous les sens du terme.
D’ailleurs l’année 2010 a mis ITECO à rude épreuve. A bientôt cinquante ans de sa fondation, l’association a dû faire face à des perturbations qui auraient pu la faire sombrer. Heureusement il y avait des forces suffisantes en son sein pour redresser le navire et repartir de plus belle. L’orage aura néanmoins imposé parmi nous l’interrogation sur la question associative. Cette question nous la portons dans les formations et interventions d’ITECO. Pour une fois nous avons dû l’assumer de l’intérieur.
Nous avons voulu dès lors aller à la rencontre des gens qui réfléchissent à l’engagement associatif aussi de l’intérieur et avons voulu prolonger et partager cette réflexion. Le contexte, mais aussi certains mauvais penchants parfois cultivés et consentis imposent-ils un rétrécissement démocratique ? Sur quoi repose la légitimité d’une association et comment cette légitimité se préserve-t-elle et se transmet ? Comment contrer ces forces négatives et faire place à l’apparition de la nouveauté, comment élargir et approfondir la démocratie de base ? Comment mener le bateau de l’île à l’archipel, en quelque sorte, tant dans la rue que sur la Toile.
Bonne lecture.