Vingt-et-une associations chez Associations 21

Mise en ligne: 21 septembre 2011

Limites, nécessités et modalités de l’engagement politique des associations. Compte-rendu d’Antoinette Brouyaux

Associations 21 organisait en mars 2011 un débat sur le rapport entre associatif et politique, pour questionner les limites, nécessités et modalités d’engagement politique des acteurs sociaux et culturels ; l’objectif était d’échanger sur nos expériences dans la gestion des divergences internes ou autres difficultés inhérentes au positionnement politique : comment éviter l’instrumentalisation, par exemple. Une quarantaine de personnes étaient présentes, ce qui a permis un beau partage d’expériences et d’analyses entre les intervenants et le public. Voilà qui incite à approfondir certaines questions soulevées, à l’occasion de prochains échanges ou travaux à mettre en commun.

Début 2011, notre publication Regards croisés sur le développement durable abordait déjà – sans que nous ayons eu l’occasion de les approfondir – quelques questions à ce sujet, exprimées sous une forme provocatrice : « observer ou s’impliquer ? », « résister ou s’adapter ? », « éponger ou fermer le robinet », « tout changer ou améliorer ce qui existe ? », « conserver ou transformer ? »... Cette publication, dans sa partie consacrée à l’histoire du secteur associatif, se référait notamment à l’ouvrage Politique de l’association, de Jean-Louis Laville. Ce sociologue français s’adresse aux acteurs associatifs en valorisant leur rôle et en leur montrant l’importance de leur histoire. C’est intéressant parce que dans le secteur associatif, il y a beaucoup de turn over. In fine, il invite les acteurs sociétaux à investir plus franchement le débat public sur l’avenir de la société. Sinon, pourquoi s’étonner que l’Etat n’écoute que les leaders d’entreprise... ? Dans la pratique, ce n’est pas toujours évident de mettre ce conseil en pratique... Place aux intervenants.

Y a-t-il « retrécissement démocratique » ? Autrement dit : la situation est-elle pire qu’avant ?

Michel Genet, directeur de Greenpeace, témoigne. Sa toute première réunion à ce poste fut celle d’une plateforme pour la liberté d’expression : l’occasion de se rendre compte que la liberté d’expression est un enjeu essentiel pour une association comme Greenpeace qui existe depuis quarante ans. Marque de fabrique : la confrontation créative non violente (non violent direct action). Avec le temps, Greenpeace a acquis une bonne légitimité. En 2006, des actions ont été menées contre Electrabel qui a dès lors porté plainte pour association de malfaiteurs. Il y eut même une descente de police dans les bureaux de Greenpeace ; des ordinateurs furent saisis. D’où le création de ladite plateforme avec des syndicats et d’autres acteurs concernés. Ce n’est pas l’objet social de Greenpeace de défendre la liberté d’expression, mais celle-ci est la condition préalable de son activité. En 2009, Greenpeace a orchestré une fausse délégation européenne lors du sommet européen précédant celui de Copenhague sur le climat. Les 10 activistes et le responsable presse furent traînés en justice. Ce dernier pour finir n’a pas été condamné mais bien les activistes (un mois de prison avec sursis et une amende de 1100 euros). Au Japon, quand fut dénoncée la chasse à la baleine, Greenpeace a aussi été accusé, alors que cette pratique est interdite par la loi. Michel Genet tempère l’expression « rétrécissement de l’espace démocratique », mais en tout cas, il faut rester constamment vigilant. Le climat est certes sécuritaire mais on n’est pas en Chine. Les associations et les acteurs politiques ont vraiment intérêt à se concerter, avec les syndicats et la presse. Pour celle-ci la menace est plutôt d’ordre économique (ce qui produit de l’auto-censure). L’objectif de la plateforme pour la liberté d’expression est donc de développer des outils de vigilance.

Se réapproprier la liberté de parole, mais non pour parler « au nom de » ! Quand Mathieu Sonck a été nommé directeur d’Interenvironnement Bruxelles (IEB), c’est exactement ce qui lui a été demandé : permettre à IEB de se réapproprier la liberté de parole. C’était un symptôme d’ambiguïté, qu’explique l’histoire d’IEB, évoluant en fonction du contexte politique. Au départ, IEB a été dirigé par de grands industriels qui voulaient s’approprier les questions environnementales. Ensuite, c’est devenu une association militante et à partir des années nonante, IEB a développé des activités de service. L’équipe s’est professionnalisée, ce qui induit des responsabilités ; c’est ainsi que l’objet social d’une association peut être influencé par sa structure, vu le besoin de pérenniser l’équipe. IEB a été reconnu comme organisme d’éducation permanente. Voilà une mission régie par un décret (de la Communauté française), dont la définition mérite d’être relue ! Parallèlement, il y a eu la régionalisation. Le rapport de l’associatif au politique évolue aussi au gré des réformes institutionnelles... Les régions devraient développer des modes de financement de l’éducation populaire, qui s’apparente plutôt à une pratique culturelle de résistance. Qui est légitime pour demander à être financé pour faire de l’éducation permanente ? Question très importante ! Il faut que les associations ne parlent pas « au nom de » mais bien avec les public concernés.

Qu’en pensent les acteurs culturels ?

Georges Vercheval est président de Culture et démocratie, après une longue carrière comme photographe, enseignant puis directeur du Musée de la photographie de Charleroi. Au départ d’un groupe de bénévoles, Culture et démocratie s’est à présent dotée d’une équipe de permanents. Un grande préoccupation a toujours été de faire revenir la culture dans l’enseignement. L’évolution institutionnelle a conduit à une scission en une association wallonne et une flamande pour permettre la reconnaissance par chacune des communautés. Culture et démocratie maintiant le contact avec 6500 personnes. Un de leurs récents appels dénonçait l’utilisation abusive du concept d’identité à des fins partisanes ; l’initiative francophone était en préparation quand l’appel des acteurs culturels flamands, « Solidariteit maakt een cultuur groot » a été lancé. Culture et démocratie les a donc soutenus. Au lieu de se préoccuper d’identité, les communautés feraient mieux de réinvestir dans la culture et l’éducation pour permettre le développement de l’esprit critique. La culture au sens large doit prendre une plus grande place. En principe la censure n’existe pas en Belgique. Pourtant il y a plusieurs exemples qui prouvent le contraire. Ce fut le cas au Musée de la photographie, lors de l’exposition de Willy Kessels. Le musée souhaitait rétablir à son sujet certaines vérités historiques. Le fait que Kessels a été un collaborateur, les a obligés à annuler l’exposition. Ce fait illustre qu’on n’est jamais totalement libre. A Bruxelles, le Musée d’art moderne vient de fermer pour une durée indéterminée afin d’être remplacé par un autre musée plus porteur d’un point de vue commercial, comme cela s’est fait avec le Musée Magritte. La dérive, là, est économiciste.

C’est la société qui doit changer, pas les plus pauvres !

Luc Lefèbvre, du Mouvement Lutte solidarité travail (LST) à Namur, constate que ce sont toujours les échelons du dessous (les plus pauvres) qui payent le plus les conséquences de l’injustice du système. Une des forces de LST c’est de se mobiliser au départ de la situation des plus pauvres. Cela ne part pas d’un mandat qu’une instance politique aurait décidé. Il faut constater que le droit d’association n’est pas le même pour tous : certains militants de LST qui avaient été surpris pour vagabondage, ont été privés de leurs droits sociaux. Ils ne pouvaient dès lors pas signer les statuts de l’association. D’autres, pour pouvoir siéger dans un CA ont besoin de dérogations parce qu’ils sont chômeurs ou minimexés. Le droit d’association pour les plus pauvres est donc limité à travers les lois. Par ailleurs, lors de conflits liés au logement, LST n’ose pas toujours aller en justice par peur d’empiéter sur les droits minimum qui existent déjà. L’instrumentalisation apparaît à travers des mandats et les politiques de contrôle. On utilise les plus fragiles et en termes de délégation, il n’y a plus que les réseaux créés par les pouvoirs publics qui reçoivent les subsides. L’économie sociale a aussi été récupérée par le pouvoir. Celle-ci était au départ (et est encore pour LST) une économie de résistance. A présent, beaucoup d’organismes subsidiés développent des activités « « d’économie sociale d’insertion » qui contribuent finalement à la dérégulation et à l’appauvrissement du monde du travail, en participant du carrousel de l’insertion. Notons enfin la manière dont la presse relaye la parole des gens (un habitant de camping par exemple), parfois faussée ou imprécise. Ainsi, la presse présentait le plan Habitat permanent comme la solution idéale, sans parler de ses aspects négatifs, comme le marquage des caravanes. C’est pourquoi LST revendique que les premiers acteurs de la résistance à la misère soient les plus pauvres eux mêmes. C’est la société qui doit changer, pas les plus pauvres.

Qui les associations représentent-elles ? Et comment ?

Brigitte Gloire s’exprime au nom d’Oxfam Solidarité. Cette ONG de développement est née il y a quarante ans, avec une volonté de s’attaquer au causes des problèmes de développement, en soutenant les organisations concernées dans les pays du Sud. Pour ne pas dépendre uniquement des fonds publics, Oxfam a développé des activités propres (vêtements de seconde main). Une question qui fait débat dans ce milieu : celle de la légitimité des associations, dans leur travail de mobilisation et d’influence politique. « Qui représentez-vous réellement ? Qui vous a donné le mandat ? » Voilà ce que demandent les acteurs politiques et économiques interpellés par les ONG. Héritage de Rio : le principe de base de la participation, du dialogue avec la société civile. La déclaration de Rio définissait neuf « groupes majeurs » : les autorités locales, le business et l’industrie, les travailleurs et leurs syndicats, les enfants et les jeunes, la communauté scientifique, les femmes, les peuples indigères, les associations et les paysans. On dit souvent aux ONG qu’elles font du bon travail, que c’est bien qu’elles soient là, que leur rôle est difficile mais qu’ils devraient arrêter de militer. Le modèle de participation de la société civile proposé par les autorités, ce sont des tables rondes avec les grosses ONG, en oubliant les plus petites, plus militantes. Certaines grosses ONG ont comme stratégie de devenir partenaires du secteur privé ; pour beaucoup d’autres, cela est inacceptable. Ainsi, selon Oxfam, ce faisant, on devient un alibi pour les entreprises ; ce ne sont pas les ONG qui changeront les pratiques du monde des affaires. Dès lors, avant qu’on nous impose des critères de légitimité, il faut les définir nous mêmes. Oxfam a travaillé sur le sujet et propose les critères de base suivants pour asseoir une légitimité : l’expérience, la base sociétale, les objectifs et la transparence. Celle-ci répond à la nécessité de rendre des comptes. Il faut aussi éviter le paternalisme quand on travaille avec le Sud. D’une manière générale, Oxfam appelle à la vigilance en ce qui concerne les outils de participation. Il y a des dérives : consultations en ligne de la Commission européenne, enquêtes par téléphone. La liberté de contester ne doit pas être normalisée. Rappelons-nous que dans certains pays, l’opposition est criminalisée.

Enjeux et dérives

En bref, on peut donc pointer ces dérives qui guettent les associations : judiciaire, économiciste (association prestataire de services, sous-traitante des pouvoirs publics et contribuant à la dérégulation, économie « d’adaptation » plutôt que de résistance), participation cosmétique qui devient un alibi, normalisation de la société civile...

Et ces enjeux : différencier les différents niveaux d’éducation (permanente, populaire, l’enseignement ou la formation continuée) – le fait que c’est la société qui doit changer, non ceux qu’on stigmatise aujourd’hui – l’autonomie financière – les critères de légitimité.

Ces interventions et constats suscitent diverses questions et constats parmi les participants au débat :

Qu’en est-il du pacte associatif, signé par différentes associations il y a quelques années ? Selon Luc Lefèbvre, le pacte associatif est venu d’une volonté politique de contrôler la citoyenneté en action, de « labelliser » un certain type d’associations. C’est une entrave à la créativité. En voulant réguler la vie associative, on limite sa liberté d’expression.
Selon une militante du Gracq, si l’on veut être autonome, alors il faut se passer de subsides... Ce constat n’est pas unanimement partagé : une militante d’Attac cite pour exemple le Comité pour l’annulation de la dette du tiersmonde, constatant que celui-ci a pu se développer, tout en gardant une liberté de ton certaine, grâce à l’engagement de plusieurs permanents, ce qui n’aurait pas été possible sans subsides.

La porte-parole de l’association Art’nativa Brasil constate un réel problème dans l’éducation en Belgique, où l’on fait du formatage. Comment former ainsi des personnes critiques ? Il manque aussi une vie communautaire autour de la pédagogie.

Marc Otjacques (Lutte solidarité travail) : Quand on est dans la rue, la légitimité on ne la demande pas. Le droit à la parole, ça se prend. La légitimité se construit dans le rapport de forces. Concernant le décret de l’éducation permanente, les objectifs sont bons mais la mécanique qui l’accompagne est technocratique.

Baudouin Germeau (Espace environnement) : Le subventionnement permet aussi un espace de dialogue avec les autorités. On demande parfois des subsides en sachant très bien qu’on ne les obtiendra pas pour les activités proposées. Mais, ce faisant, on pointe ce qui est important. Cela dit, une fois qu’on obtient un subside, celui-ci est assorti d’une obligation de résultat. C’est logique mais parfois la charge administrative est telle que le travail s’en trouve dévoyé.

Michel Genet remarque que la question de l’indépendance se pose aussi avec les donateurs. 30% du budget de Greenpeace est consacré à la recherche de donateurs. Forcément, cette contrainte influence ses campagnes, il s’agit de s’assurer qu’ils vont suivre ! Cela n’empêche pas de pointer des questions moins populaires.

Mathieu Sonck : Toute forme de financement génère ses contraintes. Il est vrai que parfois celles-ci sont absurdes. D’une manière générale, il est normal qu’une démocratie digne de ce nom finance son contre-pouvoir.

Brigitte Gloire : Il y a aussi le principe du cofinancement : le financement public étant alors calculé sur base du soutien de la population à l’association.

Paul-Marie Boulanger (Institut du développement durable) s’inquiète pour les associations locales dont les problèmes d’accès aux ressources et d’inféodation sont plus aigus encore. Au niveau communal, les associations culturelles et sociales font tout de suite l’objet de tentatives de contrôle. Par exemple il est difficile d’entreprendre une activité sociale hors du cadre du CPAS.

Marc Otjacques : Il existe maintenant des experts d’expérience en pauvreté. Tant mieux si la définition de l’éducation permanente n’est pas trop précise, sinon on va verser dans la caricature. Le niveau local, en effet, est important sur les questions de pauvreté ; il faut que les gens puissent se réunir. Pour ce faire, on doit encore demander une salle aux échevins, alors que c’est déjà eux qui nous donnent à manger. On peut en effet revendiquer d’un état qu’il permette à sa population de se réunir sans toujours devoir rendre des comptes...

Luc Lefèbvre : Nos démocraties sont construites sur les droits humains, nés de la résistance des peuples. Moins d’un siècle après leur consécration, il fallait remettre ça avec la commune de Paris. C’était le temps des premiers travailleurs forcés de travailler dans des fabriques ; ils étaient recrutés dans les centres d’accueil pour mendiants. Il s’agissait véritablement de colonies de travail. La reconnaissance des droits sociaux est toujours à reconquérir. Le fond de commerce, on le retrouve aujourd’hui au travers de certains mandats donnés a des associations et aussi autour de politiques colonialistes, vis-à-vis du Sud mais aussi chez nous. Il y a ainsi un glissement de la valeur d’une heure de travail, vers quelque chose de dérisoire.

Antonio de la Fuente (ITECO) : Nous avons parlé jusqu’ici de la légitimité des associations vis-à-vis du pouvoir, mais quid du rapport avec la base ? Nous nous trouvons tous souvent dans plusieurs associations. Beaucoup ont été créées dans les années soixante et septante. Il n’est pas facile de garder le contact avec les gens, de les faire venir aux assemblées... Parfois le dialogue est aussi difficile entre les permanents et les assemblées. Autant de pistes a creuser.

Mathieu Sonck : C’est en partie à cause de la « technocratisation ». Pour travailler avec d’autres publics, il faut se donner l’autorisation de perdre son temps en vue d’expérimenter d’autres formes d’action.

Antoinette Brouyaux : Quelle place laisse-t-on aux nouvelles associations ? Pendant des années, les militants se plaignaient qu’il n’y avait pas de relève. Maintenant, des jeunes créent de nouveaux mouvements, à leur manière. C’est le propre des jeunes générations de bousculer les anciennes. Le problème, c’est la concurrence pour obtenir des subsides.

Bernard Fostier, du Gsara, actif dans le domaine médiatique : l’opensource, alternative aux médias payants, est un modèle de création. D’innombrables individus y ont consacré un temps de travail considérable. A présent, tout le monde peut profiter de cette mise en commun. De la même manière, comment rendre notre travail le plus disponible possible, l’organiser de façon découpée pour pouvoir mieux valoriser toutes les volontés de coopération ? Il y a de nouvelles formes de bénévolat à créer, dans la logique des réseaux. Cette réflexion peut être étendue aux diverses formes de distribution de l’argent, plus communautaires, par exemple, des initiatives dans le Sud soutenues par les migrants).

Brigitte Gloire : Souvent les associations doivent justifier leur raison d’être. Il y a un déséquilibre entre la richesse des associations et la force qu’elles ont à côté du politique. Comment faire vivre la démocratie par l’éducation au droit à la parole ? Quelle parole donne-t-on à notre public ? On a un rôle de veille par rapport au politique mais aussi par rapport au privé.