La diaspora somilandaise ne se fait pas d’illusions

Mise en ligne: 16 mars 2016

A travers le parcours de Xusseen Maxamed, on peut constater que la confrontation Somaliland vs Somalie ne s’est pas exportée, par Tito Dupret

Sur le rond-point Schuman à Bruxelles, un petit millier de personnes ont manifesté en avril 2013 devant les bâtiments de l’Europe. Conscientes que les vitres couvrant les édifices sont autant de miroirs aux alouettes, elles réclamaient malgré tout la reconnaissance du Somaliland par l’Union européenne. La réponse a été sans surprise, c’est à l’Union africaine de prendre l’initiative. Cependant, le message de la Somali society in Europe est passé : la cause est bien vivante et la diaspora somalilandaise s’est mobilisée. L’information a forcément dû ricocher jusqu’à Addis Abeba, au siège de l’UA.

Xusseen Maxamed (l’équivalent d’Hussein Mohamed selon l’orthographe somalienne ayant adopté l’alphabet latin) est au coeur de l’organisation de cette manifestation qu’il considère comme une réussite au moment des faits, mais malheureusement sans aucun effet depuis. C’est son contact qui se trouvait sur toutes les affiches et appels à manifester. Il a arrangé l’accueil et le logement de centaines de personnes venues de plusieurs pays pour participer. C’est un homme de 44 ans qui travaille près de la Porte de Namur à Bruxelles comme assistant social au sein du Siréas, une association qui se consacre à la prévention du sida auprès des migrants. Il y officie depuis dix-sept ans.

Sa conscience somalilandaise, en opposition avec son identité somalienne, date de 1988. Il a alors dix-sept ans et son père est une victime indirecte de la guerre civile menée par la Somalie du Sud. Diabétique, celui-ci ne peut accéder aux soins dont il a absolument besoin, dans un pays ruiné par les bombardements. Xusseen Maxamed et sa famille quittent le pays. Deux ans passent pour obtenir un passeport, un visa vers la France par le biais « de nombreux intermédiaires », et un billet d’avion. Atterri seul à Paris, rejoignant une adresse amie, son visa touristique expire et il tombe dans la clandestinité. Il se rend aux Pays-Bas, mais le néerlandais bloquant sa progression, il se fixe en Belgique près d’Ottignies, à une autre adresse amie.

Il engage alors une procédure de demande d’asile. Le succès de cette entreprise, ralentie par deux ans et demi d’attente, le sort de la clandestinité et de la précarité des petits boulots. Une relation le conduit au Siréas où il est engagé comme animateur après avoir suivi une série de formations ad hoc. Il est devenu assistant social beaucoup plus tard grâce aux cours du soir. Le parcours de Xusseen Maxamed est un parmi les nombreux migrants qu’il rencontre aujourd’hui. Sa sensibilité aux questions de l’identité et de la migration est quotidiennement aiguisée par sa vie personnelle et professionnelle depuis bientôt trois décennies. Il sait ce que signifie, ce que veut et ce que peut la diaspora d’un pays. Il pense aujourd’hui que celle-ci est la seule voie de salut possible pour le Somaliland.

Etabli en Belgique, Xusseen Maxamed crée deux associations dans les années nonante. L’une, Somabel, a pour vocation de rassembler la diaspora somali. Sa principale mission est de mutualiser les frais d’enterrement quand un membre décède et de lui assurer un emplacement dans un cimetière musulman en Belgique. L’autre, Naasa Hablood, du nom des deux montagnes en marge d’Hargeisa, rassemble les somalilandais et leur cause nationale. Il est ainsi remarquable de constater que la confrontation Somaliland vs Somalie ne s’est pas exportée. Par exemple, tout le monde est bel et bien présent lors d’un mariage ou d’un enterrement. En poussant la conversation, j’apprends que selon Xusseen Maxamed, les différences culturelles et sociales qu’il a rencontrées entre francophones et néerlandophones en Belgique sont beaucoup plus marquées qu’entres clans somali traversant la Corne d’Afrique.

Aujourd’hui, sa déception pour la non-reconnaissance de son pays est alimentée par un immobilisme qui lui font suspecter que les autorités du Somaliland n’ont pas vraiment envie de cette reconnaissance. Par exemple, pourquoi n’existe-t-il aucune personne mandatée précisément pour cette question ? Une personne dont ce serait le travail à temps plein de faire avancer ce dossier sur tous les fronts. Si le souhait d’indépendance est bien là et exprimé à l’unanimité, il n’existe en réalité aucun interlocuteur, aucun programme, aucune stratégie. Il s’agit finalement tout au plus d’une revendication populaire, qui vient de la rue, et qui flotte dans les limbes d’une romantique plus que pragmatique autodétermination.

La cause est bloquée, c’est évident, mais pas perdue. Ce qu’il faudrait, c’est changer d’approche, en construire une autre, une nouvelle. Une solution immédiate serait de se concentrer uniquement sur le développement du pays : l’économie très fragile, les ressources minières inexploitées, le port de Berbera et les routes inexistantes empêchant les échanges. Récemment, il y a eu un changement important au Somaliland. Désormais tout le monde doit obtenir un visa pour s’y rendre. Y compris les Somaliens du Sud. C’est pour mieux identifier et isoler les islamistes d’Al-Shabbaab et pour limiter leurs mouvements qui menacent directement la stabilité du pays. Celle-ci est d’autant plus précaire que personne ne veut ni reconnaître ni soutenir ses efforts.

En ceci, l’Union africaine est la première responsable. L’existence du Somaliland est un progrès régional qui a lieu sans elle, malgré elle, et qui souligne son propre échec quant à sa mission qui n’est pas de céder à l’immobilisme mais de construire la paix. Passive, l’UA semble attendre les crises les pires les unes derrière les autres. Vu de l’extérieur et de loin, la diaspora ne se fait donc plus d’illusions. Alors elle veille sur son non-pays en continuant à envoyer de l’argent aux familles et à leur insuffler des valeurs qui se croisent. Celles inscrites à la fois dans leur culture locale, dans leurs croyances religieuses et dans leurs expériences d’émigration.