Les Nigériens n’arrivent pas à nourrir les Nigériens, par Soufiyane Amadou
Données (2012) | Niger | Belgique |
Superficie (km2) | 1 267 000 (41 fois la Belgique) | 30 528 |
Population | 17m. | 10,5m. |
Accroissement de la population | 3,9% | 0,07% |
Population de moins de 15 ans | 49% | 16% |
Fécondité (enfants par femme) | 7,6 | 1,8 |
Classement IDH (sur 186 pays) | 186 | 17 |
PIB par habitant (en dollars) | 385 | 38 500 |
Population rurale | 85% | 1% |
Part de l’agriculture en % du PIB | 45% | 1,4% |
Le Niger regorge de potentialités minières (uranium, pétrole, or), agricoles (cheptel, oignon, réserve en eau et en terres), touristiques (désert, réserves forestières, sites historiques) et humaines (Jeunesse de la population). Cependant, il occupe la dernière place du classement du PNUD en matière de développement humain. Cette situation de « pauvreté », de « fragilité », et de « sous- développement », pour reprendre les qualificatifs couramment utilisés, résulte de l’instabilité politique (trois coups d’états, cinq constitutions et douze gouvernements en vingt ans), des problèmes sécuritaires (rébellion et risques terroristes, trafics d’hommes, d’armes, de drogue dans la zone désertique), et des difficultés économiques (corruption, insécurité alimentaire, pauvreté chronique).
Faute de politiques publiques à même de promouvoir la souveraineté alimentaire , l’agriculture, à la fois la principale activité économique (45% du PIB) et la principale source de revenus de 80% de la population nigérienne, n’arrive pas à nourrir cette dernière. Deux tiers (56%) des Nigériens demeurent pauvres. Chaque année c’est environ le tiers de la population qui n’arrive pas à assurer le minimum d’alimentation, exposé ou subissant ainsi la famine et la malnutrition.
Cette situation est la résultante d’une rupture d’équilibre entre l’homme, les animaux et leur environnement. La forte croissance démographique (3, 9% par an) ne s’est pas fait accompagner d’une croissance économique et plus spécifiquement de la production agricole (seulement 2% par an). Cette production agricole a connu une évolution aléatoire s’étant reposée sur un milieu physique emprunt à la sécheresse (sept sécheresses sur les 30 dernières années), la dégradation et l’amenuisement des ressources naturelles (eau, terres, végétation) sous l’effet combinée du changement climatique et de l’action de l’homme. L’élevage (11% de la richesse nationale et deuxième source de devises pour le pays), est menacé pae l’expansion de la production végétale vers les zones pastorales.
La pauvreté et l’insécurité alimentaire découlent également de l’inefficacité des systèmes de production avec comme corollaire de faibles rendement et productivité agricole. La majorité des producteurs n’ont pas droit aux intrants agricoles de qualité (semences, fertilisants, produits phytosanitaires, matériel et équipements), à la formation et au conseil agricole adapté. En outre, l’incertitude des marchés en termes de disponibilité des produits alimentaires et de fluctuation des prix pénalisent doublement les populations rurales qui sont contraintes de vendre leur production à des prix non rémunérateurs (bradage des récoltes) et de racheter ces produits à des prix hors de leur portée pendant les périodes de pénurie.
Face à cette situation de pauvreté et d‘insécurité alimentaire, les familles rurales ont développé plusieurs stratégies qu’elles mobilisent selon l’acuité de la crise alimentaire et nutritionnelle et en fonction des ressources dont elles disposent. Il s’agit de la diminution des rations alimentaires en quantité, en qualité et au profit des plus vulnérables, de l’exode rural (ou migration saisonnière) qui prend plus d’envergure (en termes de population concernées, du temps de séjour, et de ressources générées), de la pratique de l’agriculture irriguée (jusque là peu développée dans le pays), de la surexploitation des ressources naturelles (commerce du bois, surpâturage, extension incontrôlée des surfaces agricoles), de la décapitalisation (vente des animaux reproducteurs, des biens productifs et non productifs, consommation des semences), de l’endettement, du recours à la solidarité des proches, à la mendicité, au travail des enfants (très souvent au détriment de leur scolarisation et de leur sécurité).
A côté de ces mécanismes locaux ainsi que de l’action de l’Etat qui peine à inverser ces tendances négatives, le Niger fait de plus en plus recours à la solidarité internationale, notamment à l’aide au développement.
A l’épreuve des logiques et des pratiques de cette « aide » et des acteurs de sa gestion (Etat nigérien, Coopérations bilatérales et multilatérales, ONG internationales et nationales, collectivités et associations locales, institutions de recherche, acteurs du privé), ainsi que du rôle joué par l’aide dans la situation non enviable du Niger (dernier rang du classement mondial, deux tiers de pauvres et un tiers en insécurité alimentaire), les populations rurales et les Nigériens en général ont développé plusieurs logiques et une diversité de types de relation avec l’aide.
Certains Nigériens (toutes catégories confondues) ont adopté la politique de la « main tendue », compromettant ainsi le débat, la réflexion et l’action autour d’un développement local bâti sur les ressources propres. Dans cette perspective de généralisation de l’esprit d’assisté, l’aide ne fera qu’appeler à l’« aide », pour paraphraser un auteur.
Pour d’autres l’aide constitue l’une des rares sources de financement qu’il faut capter à tout prix. Dans cet esprit, l’aide est sujette à détournement.
Pour d’autres encore l’aide constitue une voie de survie ou de sortie de la pauvreté au regard des ressources humaines et financières qu’elle met à disposition. En cela, la capacité des acteurs nigériens à mobiliser et à orienter cette aide autour de la construction d’une capacité nationale de production agricole à même de nourrir les campagnes (que les paysans vivent de sa production) et les villes devient cardinale.
Il nous semble que l’aide, si elle n’a d’objectif de d’aider le Niger à se développer, doit promouvoir la souveraineté alimentaire.
Tous les acteurs semblent unanimes sur le fait qu’une inversion de tendance ne saurait s’envisager au Niger sans une politique de souveraineté alimentaire.
La constitution actuelle du Niger fait obligation à l’Etat de promouvoir la souveraineté alimentaire (article 146). Celle-ci se matérialise dans la nouvelle stratégie de sécurité alimentaire et nutritionnelle et de développement agricole durable, dénommée initiative 3N, « les Nigériens nourrissent les Nigériens ». Sa vision telle qu’annoncée par le président de la république dans son discours d’investiture prononcé le 7 Avril 2011 est : « Le peuple nigérien a un immense défi à relever, un défi qui a un rapport avec sa dignité et son honneur : le défi de l’éradication de la faim. Il est choquant que, de manière récurrente, nous soyons réduits à mendier notre pain quotidien auprès des autres peuples. Comme en témoignent les dernières élections, notre peuple a conquis sa liberté politique : il lui reste, maintenant, à réaliser l’alliance de la liberté et du pain » .
En résumant cette initiative sous le credo « Sécheresse ne doit plus être synonyme de famine au Niger », le Gouvernement prône clairement la promotion de l’agriculture irriguée pour améliorer et diversifier la production nationale, mais également pour accroître la « résilience » des populations rurales aux crises alimentaires et nutritionnelles.
Le rapport soumis à la 16ème session du Conseil des droits de l’homme par le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, tiré d’une analyse de récentes contributions d’experts d’horizons divers, fait de l’agroécologie portée par les petits producteurs l’alternative à l’effectivité de ce droit : « pour y parvenir, cependant, il ne suffit pas de mettre de l’argent dans l’agriculture ; le plus important est de prendre des mesures qui facilitent la transition vers un type d’agriculture à faible émission de carbone, économe en ressources, qui bénéficient aux agriculteurs les plus pauvres ».
La Banque mondiale affirme dans son rapport sur le développement de l’irrigation au Niger (page 47) que « l’agriculture reste pourtant la meilleure perspective de croissance qui s’offre au Niger pour les années à venir et l’irrigation, malgré de nombreux obstacles, est la meilleure perspective de croissance pour l’agriculture » .
En consacrant l’année 2014 pour l’agriculture familiale, la FAO entend rappeler au niveau local et mondial l’importance de celle-ci (« contribution significative à l’éradication de la faim et de la pauvreté, à l’amélioration de la sécurité alimentaire, de la nutrition et des moyens d’existence, à la gestion des ressources naturelles, à la protection de l’environnement et au développement durable, en particulier dans les zones rurales ») et la nécessité de sa promotion (« remettre l’agriculture familiale au centre des politiques agricoles, environnementales et sociales dans les programmes d’action nationaux, en identifiant les lacunes à combler et les opportunités offertes afin de favoriser la transition vers un développement plus équitable et plus équilibré »).
Face à la récurrence des crises alimentaires et nutritionnelles de ces dix dernières années et à l’incapacité du Niger à inverser cette tendance, l’aide au développement a pris une envergure considérable. Cela au regard de l’affluence et ou du renforcement de la présence des coopérations bi et multilatérales et des ONG internationales, de son poids financier (autour de 200 milliards de FCFA par an, soit environ 50% du budget public et 90% des investissements) ainsi que de son influence sur les choix politiques et stratégiques en matière de développement rural.
Dans ce secteur, l’aide « se structure progressivement autour de la mise en œuvre de l’initiative 3N, « les Nigériens nourrissent les Nigériens », devenu le référentiel en matière de développement rural depuis 2012. L’initiative 3N et l’aide au développement qui l’accompagne vise d’une part des actions dites d’ « urgence » en réponse aux causes conjoncturelles des crises alimentaires et catastrophes naturelles. Ces actions se traduisent par le renforcement des capacités nationales de prévention et de gestion des crises et l’assistance aux populations vulnérables. D’autre part, des actions dites de « développement » sont mises en œuvre pour agir sur les causes structurelles de l’insécurité alimentaire, notamment la faible productivité, les faibles rendements et les faibles revenus des exploitations familiales.
L’articulation entre l’aide d’urgence et l’aide au développement constitue une préoccupation majeure au regard de la logique d’assistanat en voie de généralisation dans toutes catégories d’acteurs nigériens (Etat, collectivités locales, organisations paysannes et autres acteurs de la société civile, partenaires techniques et financiers).
Les volumes financiers mobilisés pour l’aide d’urgence (202 milliards FCFA par an en moyenne sur 2011 et 2012) comparés aux dépenses de l’Etat dans le secteur rural (75,66 milliards FCFA par an entre 2007 et 2010) et plus spécifiquement l’investissement réalisé par l’État dans le secteur agricole (32 milliards FCFA par an sur la période 2005-2009) nous amènent à poser la question de l’intérêt et de la motivation de l’Etat et de l’ aide au développement quant à la promotion d’une souveraineté alimentaire. Apprendre à pêcher n’est-il pas mieux que de donner du poisson ?
Vu « d’en bas » (au sein des familles) : l’aide, principale source de financement et source d’inspiration des politiques nationales de développement, est marginale dans les choix, dans la gestion et dans les revenus de la plupart des exploitations familiales. De ce fait, l’aide suscite beaucoup de questions. Ne persiste t- elle pas dans son approche développementaliste ? Avance-t-elle véritablement dans le sens de l’efficacité recherchée ? (Qu’est ce qui a changé depuis la Déclaration de Paris ?). Ne va-t-elle pas au-delà de « l’aide » et ne devient –elle pas une fin en soi ; ne détourne-t-elle pas les Nigériens de leurs ambitions et ne transforme-t-elle pas les logiques des producteurs dans le sens de la dépendance ; ne met-elle pas en péril toute chance d’aboutir à une souveraineté
alimentaire ?.
NDLR/ Le pays le plus pauvre est aussi le plus jeune.