Pecha Kucha, les conférences gesticulées et Live Magazine sont des propositions alternatives qui ont le théâtre dans leur centre, par Tito Dupret
Curieusement, l’architecture est en tête de tous les arts et ceux de la scène sont en sixième position. Du moins selon la liste des dix arts majeurs qui s’est établie et stabilisée récemment, à la fin du XXe, comme une lointaine émanation des neuf Muses antiques ; filles de Zeus et de Mnémosyne, déesse de la mémoire.
S’il faut se tourner vers cette grande et mythologique famille, tous ses membres sont directement liés aux arts de la scène. Et à regarder la liste la plus récente dans le détail, la classification semble intimement liée au pouvoir. Jugez-en, voici les cinq premiers arts : l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique et la littérature.
Viennent ensuite dans l’ordre cinq disciplines autrement populaires et par là moins élitistes : les arts de la scène dont le théâtre, puis le cinéma, les arts médiatiques dont la radio, la télévision et la photographie, la bande dessinée et enfin le jeu vidéo et le multimédia.
Si le dessin est associé à la peinture sur le podium, la bande dessinée arrive bien tard en tant que neuvième art. Alors faisons l’exercice de classer de manière horizontale et non pas verticale, où tel art est prétendument supérieur au suivant. Et considérons le théâtre d’abord car si l’on travaille de façon chronologique, cela s’accorde.
En effet, la gravure et le dessin sont des traces particulièrement anciennes. Le plus vieil atelier de fabrication de pigments connu date d’il y a 100 mille ans. Homo erectus a gravé des motifs géométriques sur des coquillages il y a 500 mille ans. Un galet de jaspillite rouge a été trouvé parmi les australopithèques. Il a donc près de 3 millions d’années.
Ce galet et ces coquillages avaient-ils pour objet d’être exposés sur une étagère, dans une pièce particulière, à l’intérieur d’une habitation architecturée ? Il semble plus raisonnable de penser qu’ils servaient des croyances, des paroles, des pensées, en bref à un discours dans un décor plutôt qu’un espace en soi. En d’autres termes, ces pièces d’art très anciennes avaient-elles uniquement leur propre existence pour raison d’être ? Etaient-elles de l’art pour l’art ?
Penchons pour le discours. Gageons que La Vénus de Hohle Fels, première manifestation de l’art figuratif, datant de plus de 35 000 ans, avait un rôle à jouer, un rôle comme au théâtre. Gageons que les dessins de la grotte de Lascaux, « chapelle Sixtine de l’art pariétal », n’étaient pas une salle d’exposition mais un espace vivant. Qui aurait peine à imaginer un spectacle ayant lieu à la lumière du feu devant un tel décor ?
Qu’il ait été de divertissement, éducatif, religieux… il n’en reste aucune trace, sinon ces panneaux fabuleux dont Picasso aurait dit : « Nous n’avons rien inventé. » Il n’en reste donc que cela, l’espace tangible, partie congrue d’un tout, le théâtre qui est un discours, un cri, un souffle… en tout et pour tout de l’air, du vent évoluant dans un espace total insaisissable, comme la notion même de temps à laquelle il échappe car le théâtre est universel, il s’applique à tout, à tous et partout.
Bondissons à aujourd’hui. Le théâtre n’a jamais cessé. Il est à nos voix ce que l’eau est à nos corps. Il épouse toutes les formes. Un infirmier, une femme d’affaires, un policier, une ministre, un avocat, une juge… tous les métiers, le mien, le vôtre, portent un costume pour une posture. Qui part du premier sourire à l’enfant qui naît. Aussi sincère soit-il, on ne va pas lui faire la gueule non plus. Un premier sourire pour exprimer un message, une émotion, vraie ou fausse. En bref, le théâtre n’est-il pas total ? N’épouse-t-il pas toutes les formes du réel et de l’imaginaire ? Ne s’exprime-t-il pas par toutes les voies possibles, centrales comme alternatives ?
Pecha Kucha, conférences gesticulées, Live Magazine sont des propositions alternatives récentes mais en leur centre, c’est toujours du théâtre. À nouveau jugez-en : Pecha Kucha synchronise une présentation orale avec vingt diapositives se succédant toutes les vingt secondes. La présentation dure donc 6’40’’. Né en 2003 à Tokyo, c’est du théâtre adapté aux présentations powerpoint et à l’esprit du zapping. Il s’est exporté dans près de 700 villes dans le monde.
La conférence gesticulée se réclame elle-même du théâtre. Elle est « un style de spectacle, et avant tout un outil d’éducation permanente et populaire. À l’intersection entre le théâtre et la conférence académique, l’objet gesticulé a pour propriété essentielle de mêler sous une forme narrative le vécu des conférenciers ou conférencières (le savoir chaud) et les éléments de théorie (le savoir froid). La démarche vise à donner des clés de compréhension de la société et à développer l’esprit critique ».
Live Magazine est né à Harvard en 2013. Pendant « une soirée unique, des auteurs (écrivains, journalistes, photographes, réalisateurs, artistes) se succèdent sur une scène pour raconter des histoires vraies face au public. Ces professionnels du récit du réel (mais pas des planches) racontent le monde avec passion, et embarquent en direct. Il n’y a pas de captation de l’évènement, pas de retransmission. Le sommaire n’est pas connu à l’avance. Il faut vivre l’instant, laisser ce journal vivant s’imprimer dans sa tête. En être ou pas ! ».
Le théâtre est à nos voix ce que l’eau est à nos corps. Il épouse toutes les formes. Le théâtre est-il le premier des arts ? Ou bien est-ce l’architecture ? Comme on veut. Mais ultimement, celle-ci conduit à s’assoir et à se coucher. Celui-là se fait debout et invite chacun à s’élever.