Le théâtre-action comme voie de participation

Mise en ligne: 1er septembre 2018

L’intégration du théâtre dans les débats citoyens organisés par les pouvoirs locaux, par Olivier de Halleux

La participation citoyenne est au cœur de nombreuses politiques locales. Le plus souvent, elle s’exerce lors de consultations, d’enquêtes ou encore de commissions. Dans le cadre de débats consultatifs, les citoyens sont invités à s’exprimer sur différentes thématiques telles que le cadre de vie, la mobilité, la cohésion sociale et bien d’autres. Celles-ci sont organisées et discutées lors d’un forum ou d’une animation préparée et animée par un expert qui présente le processus à engager avec les citoyens. Les intéressés proposent alors une série d’idées en fonction des thèmes expliqués pour ensuite voter et choisir celles qui deviendront des projets concrets à réaliser par la commune et son administration.

Lors de ces consultations, les activités culturelles, comme le théâtre, s’invitent de plus en plus afin d’aborder sous un autre angle les thèmes visés. Le théâtre-action, sous de multiples facettes, est parfois mobilisé durant ces moments de démocratie participative. Quel est son impact sur le spectateur ? En quoi valorise-t-il la parole du citoyen ? Et s’agit-il réellement d’une forme de participation citoyenne ?

La « participation citoyenne », une lubie ?

Comme l’explique Luc Carton [1]], le mot « participation » ne veut rien dire car il fait référence à beaucoup de facteurs et de réalités qui y sont liés. C’est-à-dire que « participer » recouvre une série d’actions comme créer, décider, etc. Il est donc ardu pour une autorité locale de viser très précisément ce qu’elle entend par participation. Que ce soient des budgets participatifs, des assemblées de démocratie participative, tous ces projets viseraient à renforcer la participation des citoyens et la prise de décision de ces derniers dans les projets suscités ou portés par les politiques. Dans les faits, ces projets participatifs s’apparentent davantage à des consultations populaires plutôt qu’à une pleine implication de la part du citoyen dans les affaires publiques. Luc Carton n’hésite pas à parler d’un « déficit de légitimité des politiques » qui est partiellement soulagé par l’utilisation de la « participation ». Il est évident que la participation du citoyen se doit d’être motivée mais pas aux dépens de ce dernier. Si l’avis de celui-ci n’est pas réellement délibéré et qu’il ne porte pas sur les réels enjeux, comme les finances et leurs redistributions par exemple [2] , alors les démarches de démocratie participative ne seront que des efforts vains et répétitifs d’un fonctionnement déjà établi.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas revoir profondément l’exercice de la démocratie dans notre société avant d’envisager des projets participatifs ? Car la démocratie participative « implique précisément que le choix des décideurs devienne secondaire. Plus on prend part à la décision, moins les choix des décideurs comptent. La participation provoque un déplacement du lieu central d’exercice de la démocratie représentative. (…) Ce déplacement fait que les deux modèles ne sont pas complémentaires » [3].

Le théâtre-action comme participation

La démocratie directe et participative semble difficilement conciliable avec le modèle représentatif. Cependant, les politiques continuent à y faire appel et doivent par conséquent imaginer d’autres approches. En effet, une sollicitation fréquente de la population sur des thèmes récurrents demande aux pouvoirs locaux et à leur administration de renouveler leur démarche. Si bien que l’objectif n’est pas de développer une réelle participation, dans le sens d’une mise en activité ou en action, mais plutôt de donner l’illusion au citoyen d’être partie prenante du processus.

Dans ce contexte, le théâtre peut être un médium intéressant. Plus objectivement, il permet de désinhiber le débat ou, au contraire, de le conclure en proposant de nouvelles perspectives. Dans le cadre d’un événement de participation citoyenne, le théâtre endosse simultanément trois rôles. Comme évoqué précédemment, il peut être convoqué comme renouvellement d’une démarche, soit comme un spectacle d’ambiance qui sera d’autant plus agréable s’il est qualitatif ou, encore, soit comme une confrontation avec le quotidien des spectateurs. Ce dernier point est particulièrement intéressant dans le cadre d’une consultation populaire car il intègre une forme de participation qui peut faire défaut lors d’une consultation ordinaire.

Une pièce originale en guise d’essai

L’exemple du Forum des aînés organisé par la commune de Beauvechain fin 2016 [4] rassemble les caractéristiques prédéfinies. Il avait pour but de relever les attentes et besoins des personnes âgées de 65 ans et plus de la commune. Cette démarche participative, ou plutôt consultative, a été planifiée en deux après-midis distinctes, l’une portant sur la consultation à proprement dite et l’autre sur la communication des résultats mis en perspective par la troupe de théâtre-action Alvéole.

La première partie du forum constituait donc le corps de l’événement. C’est durant ce moment que les données ont été récoltées sur base de thématiques prédéfinies qui étaient la mobilité, la santé, la vie sociale, le logement et la culture. L’approche se voulait qualitative en accordant une grande liberté de parole aux personnes.

Pour chacun des thèmes, des questions introductives ont permis aux participants de se présenter. C’est l’animateur de la table qui engageait ensuite la thématique par une question courte et simple. Les personnes pouvaient s’exprimer aisément. L’animateur modérait les discussions et le secrétaire prenait notes des commentaires les plus récurrents.
Suite à cette consultation, le deuxième après-midi se voulait être un événement de conclusion durant lequel les résultats ont été présentés succinctement pour se clôturer par le spectacle « Vieillesse ennemie ».

Ce spectacle était proposé par la troupe de théâtre-action Alvéole en collaboration avec l’association Respect senior qui avait pour tâche de coordonner les débats et les interactions entre le public et les acteurs. On parle du rôle de joker dans le milieu du théâtre-action [5]. Le spectacle était découpé en quatre saynètes de 15 à 20 minutes. Son originalité résidait dans la double posture des personnages. C’est-à-dire qu’ils étaient, bien évidemment, les protagonistes de la scène et à la fois des personnes avec qui il était possible de discuter une fois la saynète terminée. Les acteurs endossaient donc le rôle joué durant le débat. La démarche a fortement plu au public présent.

En effet, ce dispositif leur a permis de faire émerger leurs difficultés, leurs doutes et leurs joies quant à la vieillesse. Pourquoi ce spectacle a-t-il si bien été accueilli, si pas plus que la consultation elle-même ? Il est indéniable que la singularité de la pièce en a surpris plus d’un. Les scènes jouées étaient particulièrement frappantes d’exactitude et de sincérité. Le fait de poser des questions aux acteurs, ou plutôt aux personnages, a offert la possibilité au spectateur de ne pas parler directement de lui, à la différence du forum où la personne est invitée à donner son opinion personnelle. Cette méthode permet au spectateur de se distancier de sa propre existence tout en l’abordant par la suite. La question posée à l’un des personnages peut en effet s’envisager comme une interrogation propre à l’individu.

Une des saynètes mettant en scène un barbecue familial l’illustre parfaitement. Dans cette scène, la grand-mère est constamment remise à sa place. On lui dit qu’elle n’est plus capable de cuire les saucisses ou de servir à boire. L’attitude de sa fille est assez choquante puisqu’elle est constamment sur son dos à lui rappeler sa perte et son manque de lucidité. A la fin de cette première scène, un membre du public apostrophe presque la fille : « Pourquoi traitez-vous votre maman de cette manière ? ». Très vite les échanges fusent et la personne du public s’exprime à son sujet et développe son expérience. Ce moment, parmi tant d’autres, est une forme de participation citoyenne. C’est-à-dire que, contrairement à une banale prise de parole où la personne donne une idée de projet, celle-ci prend racine dans un quotidien. On touche à la sensibilité d’une personne qui exprime la difficulté d’être écartée de la vie familiale et sociale.

De là, on peut poser une question plus large. Comment permettre à chacun d’avoir une vie sociale à tout âge ? Cette question avait été posée préalablement durant la première partie de la consultation. Aurait-il fallu alors introduire la consultation avec le spectacle ? Il est difficile d’y répondre. Cependant, une bonne méthode participative se doit d’être élaborée en trois temps [6]. La première correspond à la planification où la pièce de théâtre pourrait être le moyen permettant d’attiser les discussions et idées. Les deuxième et troisième cycles correspondent à la mise en œuvre et l’évaluation. Dans le cas concret de Beauvechain, l’approche participative se concentrait prioritairement sur le premier temps.

Pour une autre démocratie

Il est indéniable que le théâtre-action peut libérer la parole lors des débats publics et permettre au citoyen d’y participer. Des activités de ce type, à l’image de Beauvechain, se doivent d’être répétées. Ceci-dit, il ne faut pas oublier que l’objectif de toute démarche de ce type est d’établir et de prendre une série de décisions ou, du moins, d’aborder les enjeux en amont qui font réellement sens. Dans cette optique, le théâtre semble être un avatar supplémentaire, et ce malgré l’espace de parole qu’il dégage, qui élude le travail de fond que demande l’action démocratique. Reste à savoir quelle démocratie nous souhaitons, tant celle que nous vivons actuellement semble être à l’agonie.

[1« P » comme participation ou comme perversion ?, propos recueillis par Daniel Detemmerman, 2015 dans [Cfalien n° 109—>http://www.cfaasbl.be/cfalien/pdf/Lien109.pdf

[2Philippe De Leener, La démocratie participative au service de la tyrannie ordinaire ?, mars 2014 dans Pluricité, 13

[3Jacques T. Godbout, La participation contre la démocratie, Édition Saint-Martin,‎ 1983, réédition chez Liber,‎ 2014, dans Olivier Bailly, La participation, à quoi bon ?, 2015, Alter Echos, 409,

[4Olivier de Halleux, Rapport d’analyse du forum des aînés, Survol des besoins des 65 ans et plus de Beauvechain, 2016, commune de Beauvechain

[6Janice Elliott, Sara Heesterbeek, Carolyn J. Lukensmeyer et Nikki Slocum, Méthode participative, un guide pour l’utilisateur, Fondation Roi Baudouin, 2006