L’alternative du genre

Mise en ligne: 18 décembre 2019

Et si l’alternative au trumpisme était féminine ?, par Tito Dupret

Depuis le bureau d’Eric David, l’auditoire Paul-Emile Janson se devine au travers des branches automnales. J’essaie avec le professeur émérite de droit international public et président du Centre de droit international de l’ULB, d’envisager quelles alternatives le trumpisme américain peut espérer lors des prochaines élections présidentielles en 2020. Mais nous ne parvenons qu’à des généralités. Le populisme semble le fruit d’une société du slogan où le discours se vend simplement, brutalement, au détriment, au dénigrement de la complexité. Seule l’éducation pourrait y remédier.

Le professeur émérite a raison bien sûr, et comme il est juriste, il met également un point d’honneur à lustrer le marbre des textes qui font l’état de droit, les lois et les droits fondamentaux ; et ultimement la démocratie. Pourtant, bien que d’accord sur tous ces points, je m’en vais avec un goût de trop peu. Mal nous en prendrait, me dis-je en route vers le tram, de sous-estimer, voire de mépriser le défi posé par les électeurs de Trump dont on entend souvent qu’il n’est pas à l’origine du problème, mais qu’il en est le produit, sa réelle représentation, son incarnation.

Faible de ce constat, je tombe par hasard sur un article du Courrier International (n°1517). Son propos est le suivant. La fronde à laquelle Trump doit s’opposer, qui le pousse dans ses retranchements, c’est l’impeachment, la procédure de destitution dont il fait l’objet. Il aurait confondu intérêts électoraux personnels et ceux de l’État américain. Ceci ne surprendra personne qui suit un peu le trublion de la Maison Blanche. Non, ce qui est intéressant, nous exposent les journalistes de The Christian Science Monitor à Boston, c’est que ce sont des femmes qui sont à la manœuvre. Et on n’est plus à l’heure de Clinton ou Strauss-Kahn se défendant contre les voix de femmes de moindre condition, mais bien face à des carrières de haut vol.

L’article conclut sur l’intégrité, la rigueur, connues et démontrées de ces femmes hautes fonctionnaires ou parlementaires, ne permettant pas à la partie adverse de les décrédibiliser facilement ni de les réduire au statut de plaintives victimes comme auparavant. Ce qu’il ne dit pas, mais qu’on imagine facilement, c’est que c’est justement cette probité qui leur a permis de progresser dans leurs carrières. Elles ont réussi malgré tout : parce que rien ne permettait de les stopper, pas la moindre casserole ni faute notable. On parlerait bien ici d’une élite féminine sortie du bois, libérée du tutorat masculin, assez autonome pour incarner le pouvoir qu’elles ont construit par et pour elles-mêmes.

Et si l’alternative au trumpisme ambiant, galopant, en voie de mondialisation, n’était pas politique mais féminine ? Une alternative du genre ? L’idée n’est pas neuve mais semble finalement se mettre en place. Dans les faits, il ne s’agirait que de voir sur scène ce qui déjà a lieu en coulisses. Les femmes sont la « recette du développement », n’est-ce pas ? C’est par exemple le cas dans l’univers du micro-crédit : c’est à elles qu’on fait confiance car elles auraient davantage le sens du bien commun ; extension de leurs ancestrales responsabilités familiales. À cette extrême, la journaliste Hanna Rosin annonce dans son livre La fin des hommes, une nouvelle ère : les femmes accèdent enfin au pouvoir.

Ceci pose la question : les femmes seraient-elles moins enclines au populisme ? Par exemple, l’électorat de Trump serait-il essentiellement masculin ? Dès 2016, la surprise de son élection fut si grande que la question a rapidement été répondue : « L’électeur-type du 45e président des Etats-Unis est un homme blanc, peu diplômé, rural et croyant. » Ceci répond-il pour autant à la question du populisme au féminin ? D’emblée, on penserait que populisme et éducation sont intimement liés ; mais au sexe…

Lier pouvoir et sexe ne relève-t-il pas d’un abus ou d’une facilité ? Le modèle du pouvoir au masculin est un paradigme culturel très envahissant qui semble avoir atteint ses limites… du moins en Occident. Le trumpisme est le fruit de ce modèle. Ce qui fait dire à David Van Reybrouck dans son Plaidoyer pour un populisme (éd. Samsa), que celui-ci est le « symptôme » de l’érosion démocratique. Ce n’est pas la démocratie que nous connaissons qui va y remédier puisque le populisme en est issu. Notre démocratie est celle des diplômés au détriment de citoyens qui n’ont pas — ils s’en rendent compte désormais —, grand chose à perdre. Le populisme réagit non pas à l’éducation dont ils manquent eux-mêmes, mais au mépris des personnes éduquées. Exit donc la réponse éducative au populisme. L’éducation, compétitive à outrance, sert l’orgueil des bénéficiaires.

Alors, un alternative du genre ? C’est à mon sens un cauchemar en devenir. Penser que le pouvoir épargnerait les femmes alors qu’il corrompt tant les hommes, c’est une projection qui me semble aussi sexiste que de dire : l’homme est plus à même de diriger qu’une femme. Ceci dit, essayons ! Le monde tel qu’il est conduit aujourd’hui, peut-il être pire qu’il n’est en cours de devenir ? Je garde en sourdine tout de même le sentiment qu’hommes et femmes sont un seul et même être humain et que le problème reste toujours le même : le pouvoir.