Trump fait ce qu’il a appris quand il a été producteur de télé

Mise en ligne: 18 décembre 2019

L’Amérique alternative à Trump n’est pas pour autant minoritaire. Propos de Julio Emilio Moliné recueillis par Antonio de la Fuente

Julio Emilio Moliné habite Los Angeles où il a réalisé bon nombre de documentaires pour la télévision. Il connaît tout aussi bien le Nord-Est américain et est un observateur avisé de la vie sociale et politique au pays de Donald Trump.

Comment vous expliquez-vous le fait que Trump puisse arriver à se faire réélire ?

Je ne suis pas sûr que Trump parvienne à se faire réélire. On n’est pas encore là mais à moins d’une fraude massive il n’y arrivera pas.

Le vote Trump en 2016 a exprimé une forme de désespoir de ceux qui ont gobé l’idée qu’ils étaient les propriétaires du monde et maintenant ils doivent admettre que ce n’était pas vrai mais veulent continuer à le croire même s’ils ont du mal à payer le loyer à la fin du mois.

Il est vrai que Trump n’est pas la maladie mais bien un symptôme. Il ne faut pas oublier que dans le Sud des Etats-Unis circulent encore des gens qui ont participé à des lynchages.

Comment est-on arrivé à l’ère Trump ?

La liste des dysfonctionnements du système qui expliquent l’ère Trump est longue. A commencer par une presse de l’acabit de Fox News et la manipulation des messages suivant des intérêts économiques.

La participation électorale est basse et l’éducation civique et historique de la majorité de la population est pauvre. L’idéologie qui consiste à croire que le secteur public est inefficace, ce qui laisse toute la place à l’argent et aux grandes corporations.

Avec cela, on arrive à faire croire que toute activité politique est objet de corruption, ce qui nuit aux efforts légitimes d’organisation et jette une ombre sur toute action politique. Aussi, on arrive à présenter la cupidité comme une caractéristique positive. Sans oublier la campagne de la terreur pour influencer la frange de la population blanche et âgée qui n’est pas à l’aise avec les changements sociaux des trente dernières années.

La liste est longue, en effet...

Ajoutons à cela le fait que les gens qui regardent Fox News sont désinformés par rapport à la situation dans le monde et se laissent mentir de manière délibérée. Ce que je dis est bien documenté par ailleurs. Et je le vois tous les jours chez les gens que je côtoie.

Trump ne vient pas de nulle part. Il parvient à bien manier ce qu’il a appris quand il a été producteur de télé pour pousser sur les bons boutons. Mais je crois qu’il ne fera pas long feu et finira mal.

Il était un animateur de télé manipulateur et prenait des décisions à l’importe-pièce, paraît-il. L’Amérique de Trump serait-elle un mauvais scénario de série B ?

Je pense avoir observé de près un paradoxe. Parmi ceux qui appuient Trump, il y a des honnêtes citoyens qui sont loin d’être des ignorants, qui ont bénéficié d’une bonne formation dans une bonne université, qui font du bénévolat auprès des associations et se portent à l’aide des sans-abri, qui sont loin de la caricature qu’on peut se faire du supporter type de Trump. On se demande alors comment peuvent-ils appuyer une administration qui trafique avec la discrimination et la haine et trempe dans la corruption comme on n’avait jamais vu auparavant... La seule réponse que je trouve est que les gens sont complexes et il n’y a pas d’explication facile...

On peut comprendre à la limite qu’ils aient voté Trump en 2016 mais de là à continuer à la soutenir...

Oui et d’autant plus que Trump n’a pas tenu presque aucune des promesses qu’il faisait en tant que candidat. Je peux pointer deux explications possibles. De un, l’économie continue à fonctionner, le chômage a diminué, la bourse se porte bien. En même temps, les inégalités sont de plus en plus grandes et les coûts de la santé et du logement sont de plus en plus élevés.

Vraisemblablement, ces derniers aspects sont acceptés comme étant inévitables si bien que même les plus affectés vont trouver que ce n’est pas la faute à Trump.

Par ailleurs, le pays est si polarisé et tant d’insultes et de mépris sont jetés tous les jours dans la tête de l’adversaire politique qu’il n’est pas difficile de comprendre pourquoi certains ne veulent pas admettre que voter pour Trump ce fut une erreur. Il faut se rappeler qu’après son élection en 2016 on a découvert que ses partisans étaient plus nombreux que ce que montraient les sondages. Il est probable que beaucoup ressentaient de la honte à reconnaître qu’ils votaient pour Trump. Et bien, il semblerait que ce mécanisme continue à exister.

Trump c’est la disruption. Je suis tellement frustré que je vais voter pour quelqu’un qui va tout casser. Un ami pourtant libéral me disait avant l’élection de 2016 qu’il ne serait pas gêné de voir Trump aux commandes car se serait amusant.

Sans commentaires.

On peut penser la population nord-américaine comme étant un archipel formé par des îles de taille différente. Elles communiquent peu entre elles, à part bien entendu les transactions financières. Par le passé, les Etats-Unis avaient une identité commune forte mais elle s’est diluée au cours des dernières années. A présent chaque île a sa propre interprétation de la réalité du pays, nourrie par des médias et déformée par ces espaces fermés qui sont les réseaux sociaux. Ceci est d’autant plus vrai avec Trump, qui donne constamment une vision des faits indépendante de la vérité.

C’est triste de voir que cette identité forte basée sur l’indépendance et contre l’autoritarisme et la tyrannie est en train de se perdre par la manipulation de Trump et de ses inconditionnels, qui veulent l’introniser en tant que Roi.

Il ne faut pas négliger non plus le facteur Obama. On ne peut pas oublier le choc, la haine et la répulsion que certains ont sentis face aux deux victoires électorales d’Obama. Les plus bas instincts ont refait surface : Barack Hussein est musulman, il n’est pas citoyen américain et Michelle Obama est une guenon, ce dont Trump, bon démagogue qu’il est, a su tirer profit. Aussi, Trump voue une haine viscérale d’Obama, ce qui obscurcit le peu de raisonnement qui lui reste.

Parlant d’Obama, y a-t-il un Etats-Unis alternatif à Trump ?

Oui et il n’est pas minoritaire. Hillary Clinton a battu Trump par plus de trois millions de voix. Je crois que la marge pour se faire élire étant battu va jusqu’à cinq millions de voix en moins, tant que ces voix soient majoritaires dans certains Etats de l’Union.

Alexandria Ocasio-Cortez serait-ce la nouvelle Obama ?

Non, elle représente l’avenir. D’autant plus qu’elle a beaucoup d’estime auprès des jeunes. Elle n’a pas peur de s’afficher socialiste et est ambitieuse et bosseuse. Il y a un documentaire récent très intéressant pour comprendre sa trajectoire : « Knock down the house » (Faire tomber la maison).

Obama est un centriste, tandis qu’Ocasio-Cortez est plus à gauche. Obama a fait vivre l’illusion que la droite pouvait appuyer certaines de ses réformes. Biden, Buttigieg et Klobuchar (pré-candidats démocrates) poursuivent la même illusion. Sanders et Warren, par contre, savent bien que la droite fera tout son possible pour freiner les réformes et garder le pouvoir. Ocasio-Cortez est proche de la ligne de Sanders.

En fin, que faut-il lire ou voir pour comprendre l’Amérique de Trump ?

Howard Zinn, bien entendu. Quant aux fictions, « There will be blood » (Il y aura du sang). Et « No Country for old men » (Pas de pays pour le vieil homme), montre bien la collusion entre la cupidité et la violence.