Si les élections dépendent de la capacité à amasser des ressources financières, il se peut bien que ce soit toujours les mêmes qui gagnent, par Olivier de Halleux
Le 7 novembre 2019, Donald Trump a écopé d’une amende de 2 millions de dollars pour avoir utilisé les 2,8 millions de dollars générés par sa fondation philanthropique au financement de sa campagne de 2016 [1]. Lors de celle-ci, le président américain avait rassemblé 169 millions de dollars dont 54 millions provenaient de son patrimoine personnel. Sa rivale, Hillary Clinton, avait réussi à récolter 386 millions de dollars principalement grâce aux dons de particuliers [2] A titre de comparaison, Emmanuel Macron avait dépensé 16 millions d’euros lors de sa campagne de 2017 [3].
Aux Etats-Unis, l’argent dans les élections présidentielles est donc prédominant si bien que les records de dépenses sont battus de législature en législature. Sauf quelques scrutins uniques, comme le dernier en date, la Maison Blanche est souvent dévolue au candidat le plus financé et de facto le plus dépensier. Faudrait-il y voir le risque d’une financiarisation des élections et par conséquent de la démocratie ? La politique se jouerait-elle sur les comptes de campagnes avant que le dépouillement des urnes ne soit fait ? Pour initier une piste de réflexion, il convient de comprendre comment les candidats aux élections présidentielles américaines financent leur campagne. D’où vient l’argent mobilisé et comment il est dépensé. Quelle est la place pour les candidats dits « alternatifs » qui peinent à réunir les sommes nécessaires à la réalisation de leur campagne ? Finalement, en quoi ce système de financement serait-il un frein à la démocratie ?
Des fonds principalement privés
Au contraire de la majorité des pays européens qui financent leurs élections sur fonds publiques, le système américain de financement des campagnes est aujourd’hui principalement basé sur les fonds privés [4] Néanmoins, il existe aux Etats-Unis un budget public destiné aux financements des partis et candidats. C’est à ces derniers que revient le choix de préférer l’un ou l’autre système.
Toute la difficulté dans cette dualité privé/public est de définir une réglementation stricte avec, parmi d’autres règles, l’obligation de respecter un plafond de dépenses. Paradoxalement, les Etats-Unis sont précurseurs en la matière puisqu’ils ont été une des premières nations à légiférer le financement de la politique en 1907. Déjà à l’époque, le débat se concentrait sur les collusions entre les grosses fortunes et le monde politique. Chapeauté par la Federal election campaign act, créée en 1971, des organes publics sont par la suite petit à petit mis sur pied afin de vérifier l’application de la loi et de collecter l’impôt nécessaire au financement des élections. Et pourtant, un siècle plus tard, il semblerait que la réglementation en la matière ait favorisé les financements privés.
En effet, le tournant s’est réalisé en 2008 lors de la campagne d’investiture de Barack Obama. Jusqu’alors, les candidats acceptaient les fonds publics et les injonctions qui y étaient liées. Afin d’éviter le plafonnement des dépenses de 85 millions de dollars fixé à l’époque, Obama décide de financer sa campagne uniquement sur fonds privés. Il se tourne vers les dons de particuliers en prétextant que les Political action comitees, structures privées pour la récolte de dons existant depuis 1944 et soumises à des règles définies par l’Etat, contournent la loi sur le financement.
Cette stratégie avait déjà été appliquée par Bill Clinton lors des primaires durant les années nonante. Le but étant de récolter un maximum de dons de particuliers, plafonné à 2300 dollars par personne, lors des primaires et de l’élection générale où les compteurs sont remis à zéro. Par ce choix, Obama va presque « abroger » la loi en vigueur puisqu’aucun de ses successeurs ne fera appel aux fonds publics. Dans la foulée, une réforme de la loi est initiée et votée en 2010 menant à la création des Super political action comitees ainsi que des Groupes 501 (c) et 527 qui donnent l’opportunité à des entreprises ou des particuliers de faire des dons illimités sous couverts d’anonymat pour le Groupe 501 (c). Il en résulte donc une dérégulation qui mène à des dérives où la voix d’un électeur serait proportionnelle à la somme offerte à son candidat favori. Dès lors, comment la légitimité démocratique et l’impartialité d’un potentiel président sont-elles garanties alors que celui-ci a été financé par des entreprises ou personnes fortunées dont on peut aisément imaginer les intérêts propres ?
Des dépenses destinées à la communication
Si la quantité d’argent levé est un élément crucial, ce que Bill Clinton avait bien compris, la dynamique politique qui anime ce flux est sans doute aussi importante. En effet, par la mobilisation financière des électeurs c’est une garantie de vote qui est également attendue. D’autant plus que la majorité des fonds est allouée à la communication. En 2008, 60% des budgets des candidats sont destinés à la réalisation de publicités diffusées sur les chaînés télévisées et (déjà) sur les réseaux sociaux [5]. Et c’est Obama qui va établir la meilleure stratégie communicationnelle en lien avec sa méthode de financement de campagne afin de maximiser ses chances de victoire. Il sera d’autant plus favorisé par l’appui de mécènes.
Dans un autre style, Trump va particulièrement développer cette communication sur les réseaux sociaux, notamment via Twitter. Lors des élections de 2016, il a peu déboursé en publicité au contraire de Hillary Clinton. Il préfère jouer sur son image de self-made man proche d’un certain imaginaire collectif du rêve américain. Preuve supplémentaire en est que le président controversé a investi, à hauteur de 20% du budget de sa campagne, sa propre fortune. Le self-made man s’est transformé en self-made politician. Aux yeux d’une certaine frange de la population américaine, il est le témoin de la réussite et de la méritocratie qui légitiment le triomphe de l’argent et de la marchandisation de tous les domaines de la vie en société [6].
Quelle place pour les autres candidats ?
Il n’est pas anodin que la communication et le marketing représentent les dépenses principales des candidats à la Maison blanche. Elles permettent d’affirmer la présence médiatique tout en éludant les candidats dits alternatifs qui n’ont pas l’appui des plus fortunés, un patrimoine personnel important ou les moyens pour développer une récolte de fonds. Comment alors peut-on espérer un débat démocratique égalitaire et transparent ?
L’écologiste Jill Stein s’en était d’ailleurs inquiétée suite à la victoire de Trump. Celle qui a récolté 3,5 millions de dollars pour sa campagne [7], qui paraissent dérisoires à côté des sommes astronomiques de Clinton et Trump, avait appelé au recomptage des votes dans trois Etats américains. Demande qui fut entendue par la Cour de l’Etat de Pennsylvanie qui estima une garantie d’un millions de dollars pour le recomptage. Jill Stein déplora cette annonce en soulignant que les citoyens ne pouvaient débourser une telle somme et qu’elle représentait un affront à la participation politique et démocratique.
L’implication démesurée de l’argent dans les rouages du système politique américain dans son ensemble empêche finalement la grande majorité des citoyens américains d’avoir un réel impact sur la politique. Au-delà du financement des campagnes, c’est donc toute un système qui est gangréné par l’argent.
Outre Jill Stein, les candidats alternatifs qui sont contre cette financiarisation de la démocratie et de la politique se font peu à peu entendre. On peut citer Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez qui s’était brillamment illustrée à ce sujet lors d’un débat de la Chambre sur un projet de loi visant à une nouvelle réglementation en matière de financement de la politique. Celle-ci appelait par exemple à un rétablissement d’un plafond des dépenses [8]. Sans quoi, le système actuel offre des possibilités illimités aux candidats avantagés pouvant mener à des dérives dangereuses pour un Etat qui se veut démocratique.
Si la politique dépend de la capacité à amasser des ressources financières, il se peut bien que ce soit toujours les mêmes qui gagnent au jeu de l’élection. Au Pays de l’Oncle Sam, il semblerait que les dés soient pipés depuis longtemps.