Une expo sur la publicité des ONG en plein centre de Bruxelles. Le public arrive..., par Andrés Patuelli
Ils n’y sont pas venus pour le côté « ONG » de la formule. Ils sont une vingtaine d’ados, filles et garçons de quatrième commerciale de l’école Saint- Dominique, de Schaerbeek, accompagnés par leur enseignante, Madame Boigelot. A l’arrivée au musée Album, rue des Chartreux 25, tout près de la Bourse de Bruxelles, le responsable de la salle et concepteur de l’exposition, Olivier Guilbaud, leur distribue un petit questionnaire qu’ils doivent remplir pour la mise en commun à la fin de la visite : « Combien y a-t-il de ‘prisonniers politiques’ en Flandre ? », « Citez deux ONG ‘sans frontières’ », « Pourquoi certaines ONG communiquent-elles en noir et blanc ? », « Quelle organisation fut l’une des premières à solliciter le soutien financier des populations ? ». Mais aussi « Combien de bulles contient la bouteille Perrier d’un litre ? », « Où se trouve la source Perrier ? » ou encore « De quand date le slogan Perrier, c’est fou ? ». Eh oui, parce qu’ici deux expositions sont toujours présentées en parallèle : l’une montre la saga d’un produit commercial, au premier étage, et l’autre, au rez-de-chaussée et à la cave, épingle un phénomène de société à travers la publicité.
Pourquoi une expo sur les ONG ? « La publicité peut être considérée comme un miroir des époques, explique Guilbaud. A chaque période, elle fait référence à des thématiques qui touchent les préoccupations de ses contemporains : aujourd’hui, les ONG sont de plus en plus présentes, structurées et professionnelles. Je voulais montrer comment elles communiquent, sur quels sujets, avec quels moyens ». Et qu’en concluez-vous ? « Leur publicité est devenue aussi professionnelle que la commerciale : on y trouve une très bonne qualité en ce qui concerne le graphisme, les images, les logos, les slogans. Mais j’ai un très gros problème à propos de l’emploi de la technique du coup de poing. Je me demande si en employant trop d’images fortes, les ONG ne vont pas détruire leur fond de commerce. Je sais, ça va mal dans le tiers monde, mais on m’en a déjà parlé la semaine dernière et encore la semaine d’avant. D’ailleurs, les morts à la télé ne choquent plus. C’est un risque. Même après avoir construit l’expo, je n’ai que des questions à ce propos ».
Y viennent entre 1000 et 1.500 visiteurs par mois, des groupes scolaires pour la plupart, qui payent selon le temps qu’ils y passent. Dans le cas de l’école schaerbeekoise, c’est l’enseignante qui a choisi de la visiter. « Dans le programme de quatrième, nous abordons les dimensions du marketing et de la publicité. Je voulais montrer aux élèves que le marketing peut être au service des ONG, qu’ils aient une première approche des ONG par ce biais-là », explique-t-elle. Le groupe travaille avec application. Répartis en paires, ils sillonnent le petit musée à la recherche de l’information demandée. Il y a pas mal de choses à regarder et à examiner. On y trouve surtout des affiches des campagnes de sensibilisation ou de récolte de fonds de plus d’une dizaine d’ONG belges, aussi bien francophones que néerlandophones : Opération 11.11.11, Handicap international, Médecins sans frontières, Sos-faim, Child focus, Vlaamse vereniging autisme, Plan international, Solidarité familles sans abri. Les affiches de l’agence gouvernementale de prévention du sida occupent aussi une place importante. Des moniteurs vidéo passent en boucle des spots télévisés non commerciaux primés ces dernières années aux concours internationaux de créativité publicitaire. De celui sur les Olympiades alternatives aux Pays-Bas à celui sur la guerre au Kosovo, de MSF, en passant par un mini-reportage sur la répartition inégale des richesses dans le monde, du Programme des Nations unies pour le développement. Tout cela à côté des bulles de Perrier. Un drôle de mélange. Comment les visiteurs réagissent-ils ? « C’est une exposition un peu surprenante pour les gens, explique le responsable du musée. La publicité des ONG, ce n’est pas précisément une thématique sur laquelle le grand public se penche pour l’instant. Je ne suis pas sûr qu’ils soient conscients, avant de rentrer ici, qu’il s’agit d’un secteur d’activité à ce point important. Et ils sont tout aussi surpris de voir ce sujet traité juste à côté de la pub pour un produit commercial ».
Le temps file et le moment de la discussion finale est arrivé. Le tour des questions se fait sans grandes difficultés : les ‘prisonniers politiques’ de Flandre sont les jeunes autistes bloqués par le manque de volonté politique de légiférer en leur faveur, la source Perrier se situe à Vergèze, au sud de la France.
Nous en profitons pour dialoguer avec les élèves.
L’exposition rapportait différentes opinions sur la publicité des ONG, la plus radicale étant celle de Gérard Biard (dans Charlie hebdo, Hors série n ° 13, avril 2001) : « De par ses structures et ses finalités, le langage publicitaire est incapable de promouvoir une idée humaniste, de servir une cause qui ne soit pas exclusivement commerciale. La relation entre les publicitaires et les militants de l’humanitaire est, par essence, contre-nature, car ils ont deux visions opposées du monde. ». Qu’en pensez-vous ?
Personne dans le groupe ne partage l’avis de Biard : « Je crois que l’un n’empêche pas l’autre, qu’une ONG peut faire de la publicité si c’est pour faire parler d’elle et pour que les gens s’intéressent à ses revendications », dit une élève. « Ils doivent aussi avoir un peu de fonds pour financer leurs actions », poursuit une autre. Et à la question de savoir si la publicité humanitaire leur paraît être réalisée par des professionnels ou par des amateurs, ils répondent en chœur : « Par des pros ! On est tous choqués par leurs publicités. Ils parviennent à nous interpeller ».
Quant aux différences avec les organisations commerciales, ils estiment que « leur but n’est pas de faire du profit, mais d’améliorer la vie des gens. Et pourtant, ce n’est pas suffisant pour sauver les gens ! ».
Plusieurs savent que les ONG ne font pas toutes la même chose : « MSF, ils soignent les gens, Amnesty international, c’est plutôt pour les choses politiques. Toutes sont là pour aider des personnes, mais différemment ». « Elles s’occupent de tous les trucs auxquels ceux qui gouvernent le monde ne pensent pas trop et sur lesquels ils passent. Elles, elles sont là pour dire qu’il y a des problèmes et qu’il faut agir ».
Où les ONG cherchent-elles à agir ? Dans une région en particulier ?
Partout, surtout dans le tiers monde.
Et ici en Belgique et en Europe ?
« Non », dit un élève, auquel un autre rétorque : « Mais si. Il y a des pays en Europe où il y a des trucs, genre Kosovo. Il y a des gens qui doivent aller là pour les prisonniers politiques et tout ça ».
Finalement, c’est quoi, une ONG ? Vous le saviez avant de venir ici ?
« Moi, je connaissais Médecins sans frontières et Greenpeace, mais je ne savais pas qu’elles étaient des ONG ». Les autres acquiescent.
Dernier tour de questions avec Olivier Guilbaud.
A propos de la dénomination « ONG », les visiteurs en connaissent-ils la signification ?
Je ne le crois pas. Pas le grand public en tout cas, confirme-t-il. Déjà en ce qui concerne les élèves, quand je demande en début de visite ce que c’est une ONG, ils ne savent que très rarement en donner la définition. Mais ils établissent la relation après, en en citant quelques-unes, les plus connues, comme MSF ou Greenpeace. Quant au public individuel, très souvent je dois expliquer la différence entre ONG et OGM.
Les gens ne rentrent donc pas ici pour les ONG mais pour la publicité.
Oui. Parce que c’est une exposition sur la pub et que la pub fait partie du quotidien. Ils se disent : « Ici je ne vais pas me prendre la tête ». Rares sont ceux qui poussent la porte pour voir une expo sur les ONG ! Cela arrive pourtant, des visiteurs qui ont cette curiosité, mais c’est une frange marginale.
Qu’en disent ceux qui travaillent pour des ONG ?
Généralement ils sont contents. Et ce que j’entends toujours après leur visite, c’est : Je vais vous envoyer de la documentation. Mais j’attends toujours... (rires).
Trop tard les gars. L’expo est déjà finie.
Publié dans Antipodes n° 159.