Médecins sans frontières se trompe en ôtant les bénéficiaires de leur action de leur identité, par Antonio de la Fuente
Nous recevons un courrier de Médecins sans frontières. Nom et adresse sont correctement écrits. Fait rare, notre nom étant ce qu’il est. Ayant appréciés ces derniers temps des prises de position bien calibrées de MSF sur des dossiers comme la guerre au Congo ou le traitement des demandeurs d’asile en Belgique, ayant entendu le témoignage d’une jeune médecin gantoise rentrée d’Angola qui ne manquait pas de pertinence, nous nous sentons d’autant mieux disposés à en découvrir le contenu.
« Changer les choses est aussi un métier », titre la brochure publicitaire. Comme d’habitude, la communication de MSF est de qualité, textes et photos sont percutants, la mise en page est soignée, la titraille attirante. Il n’est plus nécessaire de nous présenter Médecins sans frontières, les médias nous permettent de suivre leurs interventions de secours aux quatre coins du monde. Ce sont donc les Médecins sans frontières qui nous seront présentés. Quatre d’entre eux, Tine, infirmière en Angola, Mabel, architecte en Angola, Valentin, médecin à Kinshasa et Liliane, donatrice MSF. Nous les voyons sur des photos, jeunes et un peu moins jeunes (l’âge moyen du volontaire MSF est de 36 ans), beaux ou en tout cas en bonne santé, leur visage transmettant confiance et sincérité. Nous découvrons leurs parcours avec intérêt et empathie ; ce sont, comme nous croyons l’être nous-mêmes, des gens d’aujourd’hui, raisonnablement optimistes, « donnant le meilleur d’eux-mêmes en acceptant leurs limites ». Si Tine, Mabel et Liliane sont des Européennes, Valentin, lui, est Africain, détail qui nous permet de savoir que plus de 13 mille MSF sont des employés locaux qui partagent avec trois mille expatriés un même état d’esprit. Cette collaboration est, selon MSF, « indispensable pour le bon déroulement de nos interventions ».
Nous n’allons pas répéter ici les griefs qui ont été portés à la communication de MSF. Il y a un point qui nous semble pourtant incontournable. MSF n’est pas le seul concerné, parmi les campagnes en cours ; Action contre la faim, notamment fait de même. Derrière les intervenants de MSF, nous entrevoyons des « intervenus » : des formes anonymes, des victimes de guerres dont nous ne saurions pas qui les a déclenchées ni quand elles vont s’arrêter, des débris d’une tragédie biblique qui n’ont rien à dire sur elles-mêmes. Même pas leur nom, leur vrai nom, qui doit pourtant exister, de la même manière que le nôtre figure si bien écrit, malgré son étrangeté, sur l’enveloppe qui nous est adressée. MSF se trompe en ôtant les bénéficiaires de leur action de leur identité, de leur parole, de leur raison d’être. Même si les donateurs apprécient.
Publié dans Antipodes n° 159, Voyages vers le Sud en ONG, décembre 2002.