A l’aéroport de Paris, l’embarquement des vols à destination de Kinshasa ressemble à un défilé de mode. Pour qui les Congolais rivalisent-ils d’élégance ?, par Godefroid Bwiti Lumisa
Ils se reconnaissent entre eux au premier regard. Sûr de ne pas se tromper, l’un des voyageurs demande à un autre « Ozo kende Kin ? ( tu descends à Kinshasa ? ) ». La question est presque superflue. A l’enregistrement des bagages, à Paris, l’allure des Congolais tranche tellement avec celle des autres passagers en jean, baskets, t-shirt ou en bras de chemise ! Congolais et Congolaises de tous âges arborent vêtements et chaussures de grandes marques. Rivalisant d’élégance, ils s’épient du coin de l’oeil pour voir qui est le mieux sapé. Certains disparaissent dans les toilettes de l’aéroport pour réapparaître un moment plus tard, la démarche nonchalante, paradant dans une nouvelle tenue… L’embarquement se passe dans une ambiance toute congolaise. « Otelemi fort, oza très très fort ! (t’es très bien sapé, t’es très fort) » se flattent-ils mutuellement. Cette formule en lingala est à la mode.
Surchargés de valises et de sacs bourrés de vêtements, de chaussures, de parfums pour la famille ou les amis, beaucoup se présentent à l’enregistrement sans la moindre idée du poids de leurs bagages. Certains ont 10, 20 voire 40 kg de trop ! Les hôtesses se montrent intransigeantes : « Ou vous payez le surplus ou vous les ramenez aux 40 kg autorisés », répètent-elles à nombre de ces passagers. A 39 euros le kilo de supplément, peu sont capables de payer la facture. Ils recourent alors à des astuces devenues courantes : négocier, en payant ou non, le port du « trop plein » avec un voyageur moins lesté ou le dissimuler carrément sur eux.
Comme cette femme, d’une trentaine d’années, qui s’était enroulé dix kilos de tissus de pagnes autour de la taille, bien cachés sous sa veste. Une fois passée la police d’immigration, elle s’est précipitée dans les toilettes de la salle d’embarquement, sur les conseils d’une autre Congolaise, pour s’alléger de son fardeau. « J’étouffais déjà et j’avais peur que la police ne vienne me surprendre », s’exclame- t-elle libérée de sa charge, promptement fourrée dans son bagage à main.
La surenchère commencée à Paris se poursuit à Kinshasa. Car, comme le chante le célèbre musicien Papa Wemba, c’est à l’arrivée que se fait la « proclamation » de la réussite ou non des Congolais expatriés. Beaucoup de ces extravagants voyageurs retournent au pays après des années passées en Europe. Comme nombre de migrants, ils incarnent l’espoir des familles restées au pays. Un espoir qu’ils ne peuvent à aucun prix décevoir. Alors longtemps avant de rentrer, six mois voire un an et plus, ils ont économisé pour préparer un retour éclatant, signe de leur réussite en Europe. Il leur en coûtera de 3000 à 3500 euros : 1200 environ pour le billet d’avion aller et retour, 1000 à 1500 en moyenne pour les cadeaux et encore 1000 de plus pour les dépenses du séjour à Kin. A titre de comparaison, en France, le salaire minimum garanti se monte net à 910 euros par mois ce qui signifie qu’un travailleur à plein temps payé au Smig doit épargner quasiment le tiers de son salaire sur un an pour pouvoir rentrer la tête haute. Les plus m’as-tu-vu séjournent même à l’hôtel à Kin pour prouver qu’ils ont les moyens.
Parmi ces Congolais d’Europe qui reviennent en grandes pompes, certains sont résidents en Europe mais d’autres n’ont que des papiers provisoires. Les apparences sont trompeuses : la plupart ne gagnent pas très bien leur vie avec les petits boulots qu’ils arrivent à décrocher de temps en temps. L’important c’est de laisser croire à leur arrivée qu’ils mènent en exil une vie de rêve. « Je ne resterai pas longtemps à Kinshasa, juste trois semaines. Car je dois rentrer toucher moi-même mes allocations sociales. Je n’ai pas voulu laisser une procuration, c’est trop risqué », explique, à Roissy, une jeune demoiselle. La plupart évitent de rester trop longtemps au Congo, de peur de perdre certains de leurs droits en France mais surtout pour échapper aux demandes incessantes des membres de la famille, frappés par la misère et qui rêvent eux aussi d’émigrer un jour.
Excédée de voir tous ces Congolais raconter mensonges et merveilles sur leur vie en Europe, une télévision locale, TKM, a entrepris de révéler au public kinois certaines vérités : « 90 % des personnes qui disent porter des fringues à 10 mille euros ou qui envoient des voitures de luxe au pays ne gagnent pas honnêtement leur vie à Bruxelles. Ils vendent de la drogue, cassent des magasins ou font la prostitution… 10 % à peine gagnent correctement leur vie », martèle le présentateur d’Euro show, l’émission de TKM produite de Bruxelles, comme c’est la mode sur les télévisions de la capitale congolaise. Très peu de Kinois sont prêts à le croire. Car beaucoup ne rêvent que de voir eux-mêmes ce qu’ils appellent le « monde en couleurs ! », un monde où tout est beau… Ils ignorent que certains de leurs compatriotes qui vivent chichement de tout petits boulots en Europe n’osent plus rentrer chez eux par crainte de les décevoir.